Souffrance au travail et redéfinition du métier d'enseignant par Christophe Hélou et Françoise Lantheaume
Texte de la communication de Françoise Lantheaume et Christophe Hélou pour le séminaire sur le travail enseignant : "Souffrance au travail et redéfinition du métier d'enseignant"
Françoise Lantheaume et Christophe Hélou
UMR Éducation & Politiques (Inrp, Université Lyon2)
1. Du "malaise" enseignant aux enseignants "en difficulté"
Notre intervention va présenter certains résultats d'une recherche que nous avons menée avec Christophe Hélou sur la souffrance au travail des enseignants et les évolutions du métier d'enseignant. Cette recherche avait comme objectif de contribuer à des travaux de sociologie du travail, qui ont été menés sur d'autres métiers mais peu, par contre, sur les enseignants. Je vais d'abord présenter l'objet de la recherche, les questions d'où nous sommes partis, puis décrire l'enquête, sa méthodologie, de façon assez rapide puisqu'il y aura une séquence du séminaire consacrée aux questions d'ordre méthodologique. Ensuite, j'évoquerai la difficulté de parler de la souffrance au travail à la fois pour les enseignants et pour les sociologues. Et la façon dont ceux qui ne sont pas enseignants en parlent puisqu'une partie de notre enquête s'est faite auprès de personnes "non enseignantes". Christophe, lui, présentera les principaux résultats de l'enquête sur la "souffrance ordinaire" des enseignants, montrant à quel point elle se situe au coeur du métier et évoquera aussi le plaisir au travail puisque nous avons également abordé cet aspect.
Nous sommes partis de plusieurs préoccupations. La première était de nous situer loin de ce qu'on pourrait appeler des souffrances extra-ordinaires, qui sont assez rares, mais plutôt du côté de ce que nous avons qualifié des "souffrances ordinaires" du travail. Nous avions une préoccupation descriptive mais aussi une question : qu'est-ce qui fait basculer les enseignants de la difficulté à la souffrance au travail ? Et cette question-là avait son envers, son exact envers, qu'est-ce qui permet aux enseignants de ne pas basculer de la difficulté à la souffrance au travail puisque somme toute la plupart des enseignants que nous avons rencontrés ne manifestent pas de signes de souffrance au travail massive, ne sont pas malades, et assument leur travail tout à fait correctement. Un autre enjeu de cette recherche était de tenter de construire l'objet "souffrance au travail" dans le champ de la sociologie alors que les premiers travaux sur ce sujet ont été le fait de la psychopathologie du travail et de la clinique (Dejours, 1993, 1998).
Pour ce qui nous concerne, notre cadre théorique (Boltanski et Thévenot, 1991) nous conduisait à nous interroger sur les justifications des acteurs et à essayer de comprendre ce qui faisait tenir les situations et ce qui, dans la définition de la situation, relevait des interactions ou plutôt de ressources extérieures à la situation, de principes de justice notamment.
Nous avons fait cette enquête dans une période de mouvements sociaux enseignants puisque l'enquête ethnographique s'est déroulée au moment des grèves des enseignants en 2003, et suite aux ministères Allègre et Ferry, alors que le thème du "malaise enseignant" était devenu très présent dans les médias. A tel point que cela devenait presque un allant de soi de dire qu'on avait affaire à une profession caractérisée par un "malaise" alors que, paradoxalement, il y a relativement peu d'études et de recherches sur le travail des enseignants contrairement à d'autres métiers qui ont été étudiés en profondeur par des chercheurs de diverses disciplines. De même, la France accuse un retard puisque au Canada il y a eu des travaux sur le travail enseignant, prenant en compte ses diverses dimensions, notamment ceux de Tardif et Lessard (1999...), alors qu'en France on trouve essentiellement trois chercheurs ayant travaillé sur cette question Chapoulie (1987), Bourdoncle (1993, 1998) et Barrère (2000, 2002), en s'intéressant aux aspects concrets et diversifiés du travail des enseignants. Peut-être est-ce dû aussi au caractère composite du travail enseignant qui aboutit à un morcellement de la recherche, le travail enseignant est alors étudié plus sous l'angle didactique, sous l'angle de la relation pédagogique, ou celui des relations avec des partenaires extérieurs. Quant à nous, nous sommes partis de l'idée que c'était certes un métier qui avait des spécificités mais que le métier n'était pas forcément spécifique. C'est-à-dire que tous les métiers ont des spécificités mais il y a des points qui peuvent les regrouper, permettre de les comparer. Ainsi, les travaux portant sur d'autres métiers nous ont été très utiles.
Nous intéresser aux difficultés était aussi une façon de nous intéresser au plaisir au travail même si nous avons pris comme entrée les difficultés. Partir des difficultés c'était prendre en compte le fait que la réalité se donne à voir d'abord, malheureusement peut-être, le plus souvent, sous couvert des difficultés qui troublent l'ordre en quelque sorte et permettent de voir un certain nombre de constructions "routinisées", de points obscurs ou devenus aveugles. Les difficultés rencontrées constituent des épreuves mettant en cause les routines, les constructions sociales stabilisées.
Au début de ce travail, nous avions deux hypothèses, la première, selon laquelle l'origine de cette "souffrance ordinaire" ainsi qu'on l'a qualifiée, était à mettre en relation avec l'impact des nouveaux modes de management mis en oeuvre dans l'éducation en même temps que les politiques d'éducation qui ont donné beaucoup plus de poids à la dimension locale et une plus grande autonomie aux établissements dans le cadre de la décentralisation, en vue d'une meilleure efficacité du système scolaire. Notre deuxième hypothèse était que le contexte avait un poids important dans les conditions de travail, dans l'activité des enseignants et que, même, selon certains, comme Agnès van Zanten (2001), par exemple, cela permettrait d'identifier deux métiers selon le type d'établissement d'exercice. Mais, en avançant dans notre travail, nous avons produit d'autres hypothèses et nous avons plutôt validé celle selon laquelle s'il y a des difficultés et de la souffrance au travail chez les enseignants, ce serait plus lié à un doute sur les finalités et sur les perspectives du travail enseignant, qui amène des conflits de définition et des situations de redéfinition. Cette hypothèse invalide la thèse d'une crise au sens ordinaire ou d'un "malaise" de type régressif. Dans ce sens nous sommes plus près d'une définition de la crise comme l'ont esquissée des sociologues comme Simmel (1896-1897) ou des économistes comme Schumpeter (1961), c'est-à-dire une période de redéfinition des repères et d'adaptation à des univers sociaux en perpétuel changement.
Une enquête en trois temps
L'enquête s'est déroulée en trois temps de septembre 2001 à janvier 2003. La première étape, la première année, a consisté à étudier les dispositifs institutionnels et à enquêter auprès des personnels administratifs, d'éducation, et de santé, chargés du traitement de la difficulté rencontrée par les enseignants. Nous avons aussi interviewé des professionnels extérieurs à l'éducation nationale qui rencontrent eux-mêmes des enseignants dits "en difficulté". Cette première année a été suivie d'une enquête ethnographique dans sept établissements situés dans des contextes sociaux géographiques différents. Le recueil de données a été très diversifié avec des entretiens individuels et collectifs, des observations de situations de travail -dans et hors la classe-. Et enfin, troisième facette de l'enquête, une enquête par questionnaire que nous avons réalisée avec la fondation santé de la MGEN. Le questionnaire diffusé auprès des quelques 500 enseignants des établissements concernés, comportait un volet sur l'itinéraire et l'expérience professionnelle, et un volet sur la santé. Notre volonté était de croiser les données ethnographiques et les données statistiques. Je n'en parlerai pas aujourd'hui sauf pour dire que les résultats ont été très convergents.
Pendant un an nous avons donc enquêté sur les dispositifs académiques en essayant de comprendre comment s'était construite la catégorie "enseignant en difficulté". En effet, cette catégorie d'"enseignant en difficulté" correspond à une construction de la part de l'institution, qui s'est faite dans les dix dernières années.
Au cours de l'enquête ethnographique qui a suivi, nous avons rencontré environ 120 enseignants lors d'entretiens formels, auxquels il faut ajouter ceux effectués lors des rencontres informelles. Les entretiens formels ont été de trois types : le premier était un entretien semi directif réalisé à partir d'un guide d'entretien, sur la base du volontariat ; le deuxième était des entretiens précédant et suivant une observation de séquence (cours ou autre) ; le troisième type était des entretiens collectifs. Un journal de terrain a complété les informations recueillies. Cette diversité de données a été d'autant plus nécessaire que nous avions affaire à un objet difficile d'accès.
Un accès difficile à l'objet
Accéder à la souffrance au travail est difficile et saisir les difficultés ordinaires du métier enseignant n'est pas non plus chose aisée. Cela a posé nombre de problèmes méthodologiques. Afin de dépasser le déclaratif et d'accéder à cette part peu visible de la réalité du travail, nous avons tenté de saisir le cadre de l'activité enseignante dans les établissements, car, selon nous, il détermine en partie les difficultés au travail et surtout car c'est le lieu de l'épreuve de réalité, qui permet de saisir les discours et leur construction. Cependant, nous avons fait le choix méthodologique de ne pas faire des monographies. Nous avons préféré tracer des lignes de force et traiter les données recueillies de façon transversale entre les établissements quitte ensuite à faire des gros plans sur tel ou tel établissement. Le choix de l'ethnographie a impliqué une présence de plusieurs jours par semaine dans chaque établissement, pendant une année scolaire (au premier et troisième trimestre), ce qui nous a permis d'instaurer une relation de confiance avec les enseignants sans laquelle les difficultés se disent difficilement et ne sortent pas du registre de la plainte. Dire aussi que nous n'avons pas rencontré que des enseignants mais aussi des personnels de direction, de santé (quand il y en avait), et de vie scolaire.
Rappelons enfin que cette recherche a été possible grâce au travail de quatre équipes d'enseignants associés.
La difficulté de parler de la souffrance au travail pour les enseignants
S'il est difficile de parler de la souffrance au travail pour les enseignants c'est que parler de "souffrance au travail" est une terme chargé qui a une dimensions dramatique, les enseignants n'utilisent pas ce terme, ou alors c'est "en général" : "tout le monde", "des gens", mais ce n'est presque jamais "je". C'est quelque chose qui ne se dit pas. Il a donc été nécessaire d'aborder la question de façon plus détournée, en étant attentif à l'expression des difficultés et en recherchant des marques objectives de ces difficultés afin d'éviter le risque d'une approche psychologisante du social.
L'expression de la difficulté, chez les enseignants, se fait le plus souvent sous couvert de l'euphémisme ou de la métaphore. À moins qu'il ne s'agisse de situations très localisées dans le temps et dans l'espace mais là on est du côté de la crise, de l'exception, de la souffrance extra-ordinaire. D'une façon générale la souffrance liée au travail ne se dit pas. Pourquoi ? Par manque de temps, par peur d'être mal noté, mal vu, le silence est aussi une sorte de gri-gri pour conjurer un mal qui pourrait contaminer. Même la simple difficulté au travail, la plupart du temps, ne se dit pas ou alors elle est relativisée. La relativisation, sensible dans les discours, ne peut par contre guère être utilisée quand le corps ou les actes sont en jeu. Ainsi, les enseignants parlent beaucoup de "craquer". Cependant, quand on leur demande de quoi il s'agit la description est floue et recouvre des choses très diverses, ce qui souligne la difficulté d'accès.
Un autre constat est que les enseignants s'autorisent à parler de leurs difficultés quand ils peuvent y mettre un nom de maladie dessus. C'est quand il y a une validation médicale -maux de dos, maux de tête, insomnie, ou médicament comme du lexomil pris à haute dose-, que les enseignants évoquent leur souffrance au travail. La reconnaissance médicale autorise à parler de ses difficultés, mais comme d'une maladie. Les enseignants décrivent assez souvent l'impact de leurs difficultés sur leur vie privée, pour justifier leurs difficultés. C'est en effet plus souvent en ce sens-là que se fait la porosité : c'est plus souvent la souffrance au travail qui déstabilise la famille que l'inverse.
Les voies discursives sont très variées pour évoquer la question, les enseignants maîtrisent bien le langage en règle générale et manient l'ironie, la dérision, le ton emphatique... pour dire les difficultés.
Un autre aspect à souligner est la présentation binaire des situations de travail. Où on est dans la difficulté ou non, ou ça marche ou ça ne marche pas. Quand ça ne marche pas tout ne marche pas. Comme s'il n'y avait pas d'entre deux. En général les enseignants trouvent que ça ne marche pas quand les choses ne se passent pas comme ils l'avaient prévu, quand ils se sentent empêchés, bloqués, dans leur travail. L'analyse des entretiens est extrêmement éloquente de ce point de vue. De même, l'analyse du discours des enseignants montre une association entre les difficultés professionnelles et un champ lexical autour de la faute et de la culpabilisation. On constate chez les enseignants à la fois un sens aigu de la dimension normative et un malaise sur le fait de savoir ce qu'on leur demande de faire, ce qui leur est prescrit.
Les métaphores très nombreuses utilisées par les enseignants pour évoquer leurs difficultés, dessinent une sorte de carte de l'imaginaire professionnel en relation avec la souffrance au travail. La métaphore est ici une façon de dire l'indicible tout en ne le décrivant pas directement. Des métaphores autour de "l'enfer", du "bazar", de la "galère"... etc., soulignent la dureté de l'expérience professionnelle. Mais le plus frappant est peut-être le point commun existant entre ces métaphores et ce que disent les élèves. Une convergence très forte apparaît autour d'images d'enfermement, de contention, de violence sans visage, de règne du faux-semblant, de mises à l'écart... On pourrait dire qu'il y a là tout simplement les ingrédients d'une souffrance humaine dans le cadre social, mais aussi que l'institution sécrète ces ingrédients-là. Notons que les métaphores ne sont pas du registre de la plainte mais révèlent plutôt la violence du travail empêché, le travail qu'on veut faire " bien" mais qu'on ne peut pas bien faire, qu'on n'arrive pas à bien faire. Elles donnent à voir le côté sombre du métier.
La difficulté de parler de la souffrance au travail pour le sociologue
Pour le sociologue il est difficile de travailler sur la question de la souffrance au travail notamment car ce n'est pas une notion de sociologie. Nous avons dû contourner la difficulté en parlant plutôt des "difficultés" et en posant la question des indicateurs de la souffrance. En effet, on peut estimer que tout est souffrance ou que rien n'est souffrance. Quels sont les indicateurs pertinents ? Il y a des indicateurs physiques qui reviennent régulièrement qu'il s'agisse des pleurs, systématiques dans les descriptions de situations particulièrement difficiles, des manifestations de peur, de haine, de colère, des troubles liés à la fatigue nerveuse ou physique... Mais les enseignants parlent assez peu de tout ça car, pour eux, c'est dire son échec et ainsi se fixer sur une identité relativement négative or on est dans une période qui valorise la performance, où il faut être efficace, et il n'est pas vraiment agréable ni bien vu de se présenter à autrui sous la forme de cette identité négative. Une enseignante dit, par exemple, quand elle essaie de préciser de quoi il s'agit (les nombreuses hésitations sont à noter) :
Et ben c'est peut-être pour pas… quoi si ils étaient, puis moi aussi hein, je veux pas dire que je suis dans le même cas, mais heu… c'est pas toujours facile de, d'avouer qu'on est en… soit en difficulté soit en échec. Donc ça peut être aussi lié à la… à la personnalité de chacun. Mais… bon heu…. (SEBG15)
Du fait des difficultés à dire la souffrance au travail, celle-ci est plus souvent évoquée par des témoins que par les personnes directement concernées. Nos modes d'investigation ont du en tenir compte.
Pour essayer malgré tout d'étudier cet objet difficile, nous nous sommes référés à des travaux sur la tension entre le secret et la publicité dans les professions. Notamment des travaux de sociologues interactionnistes comme Hughes, Becker ou Goffman, qui montrent comment le secret est un moyen de gestion et de régulation des professions, comment il empêche l'interchangeabilité des personnes et donc participe d'une qualification des personnes. Mais d'autres travaux, plus récents, de Christophe Dejours, par exemple, montrent aussi que le secret sur les difficultés du métier représente des défenses d'un métier qui ne veut pas se montrer comme défaillant.
La plainte est le premier objet que nous avons rencontré lors de l'enquête sur les difficultés au travail des enseignants : une masse de données nourries de la plainte enseignante dont les objets sont multiples. À l'issue cette recherche nous pouvons dire que cette plainte constitue un discours socialisateur permettant de mettre en scène le travail enseignant, sa pénibilité. Quand le débat sur le travail semble impossible et que les issues sont imperceptibles, la lamentation reste ou devient le mode d'expression essentiel. La plainte révèle cette situation. Lorsqu'on est dans le domaine de la critique -nous avons essayé d'opposer la logique de la plainte à celle de la critique-, cela exige un projet d'action pour changer la situation et un effort réflexif impliquant le collectif d'une façon différente. La publicité de la lamentation accompagne donc plutôt le secret sur les difficultés. Nous avons pu constater que, dans certains établissements où il y avait plus de difficultés, il y avait plus de publicité par la lamentation et plus de secret sur les difficultés rencontrées. C'est dire que la lamentation, si elle est une protection en matière de santé mentale, n'est pas une aide ou est une aide faible pour dépasser ou gérer les difficultés. Elle signale plutôt la difficulté la plus répandue, celle de débattre et de prendre en charge collectivement les actuelles difficultés à exercer le métier d'enseignant.
Le choix méthodologique que nous avons fait pour aborder cet objet difficile, à savoir, prendre en compte l'établissement, était aussi une façon d'éviter l'essentialisme et de chercher à saisir le cadre des situations en nous centrant sur le contexte de travail, sur les situations de travail, pour éviter tout déterminisme. En effet, les personnes et les logiques sociales se rencontrent dans les situations. Nous nous sommes donc centrés sur les situations en empruntant à des méthodologies interactionnistes. Il faut préciser aussi que, pour nous, on ne peut s'intéresser ou s'interroger sur le travail enseignant en dehors des établissements scolaires. C'est un point qui fait débat parmi les chercheurs, mais telle est notre position pour les raisons déjà exposées. Nous avons donc choisi sept établissements très différents depuis un lycée avec classes préparatoires, avec des professeurs autrefois très investis, maintenant un peu fatigués, avec un espace de travail agréable, jusqu'à un petit collège situé dans une zone d'éducation prioritaire passablement délaissée, avec des problèmes de discipline et une solidarité affirmée entre les personnels en cas de "coup dur".
Prendre en compte le contexte de travail, nous intéresser aux difficultés quotidiennes sans nous focaliser sur les souffrances paralysant l'action et nécessitant éventuellement une médicalisation, avaient également pour but de saisir des difficultés semblant souvent peu légitimes. Dans un monde où 10 % de la population est au chômage, dans lequel il y a énormément de précarité, les enseignants ont souvent le sentiment qu'ils n'ont en quelque sorte pas le droit d'évoquer leurs difficultés d'autant plus qu'on leur renvoie une image de privilégiés. Ils sont fonctionnaires, ils ont des vacances, et ils ont choisi leur métier, du moins c'est l'image dominante.
2. Accompagnement des difficultés et jugement normatif : les experts et la souffrance au travail des enseignants
Les principaux résultats de l'enquête sur les dispositifs académiques et auprès de ceux, les experts, censés traiter la difficulté au travail des enseignants, peuvent être résumés en quelques points clés :
La catégorie "enseignant en difficulté" est une construction institutionnelle récente (milieu des années 90) dont la définition est assez large et sujette à des interprétations diverses selon les académies. On constate une montée en charge du problème et une intolérance accrue aux difficultés professionnelles. Le nombre, la diversité, des personnels et des dispositifs mobilisés par le traitement des "enseignants en difficulté", ont cru de façon importante ces dernières années. Une volonté politique centrale marque le souci de diffusion et d'harmonisation de politiques académiques qui restent cependant passablement diverses, car elles sont aussi le fruit de compromis passés avec les partenaires sociaux et dépendent de l'état des besoins et ressources locales.
D'une façon générale les experts caractérisent la difficulté des enseignants à partir des cas les plus lourds. Et les cas des "enseignants en difficulté" n'arrivent devant les experts qu'au moment où les difficultés ont été portées sur la place publique. C'est quand des parents d'élèves, des élèves eux-mêmes, font en sorte que la difficulté d'un enseignant devienne publique qu'elle est traitée comme telle par l'institution. C'est quand il doit y avoir une décision institutionnelle que la difficulté apparaît sinon elle reste le plus souvent invisible à l'institution.
Les experts insistent sur des manifestations physiques et comportementales de ces difficultés : les manifestations de peur (refus de rencontrer des parents par ex.), le fait de "raser les murs", l'absentéisme, des problèmes "de communication", des incompétences dans la réalisation de tâches nouvelles… L'isolement de l'enseignant "en difficulté" et son déni des difficultés sont aussi régulièrement pointés comme significatifs de la difficulté et un frein à la résolution de ses problèmes. On retrouve là une problématique du travail social.
Un autre résultat important de l'enquête est que pour les experts la difficulté au travail des enseignants apparaît largement comme un produit d'importation. C'est la fragilité des individus qui est mise en avant, leurs problèmes personnels, les parcours individuels, éventuellement le manque de formation, mais très peu les questions liées à l'organisation du travail, au contexte de travail.
Face à des systèmes d'alerte plus fiables et à l'exigence de performance, des cas plus nombreux apparaissent, mettant à l'épreuve des dispositifs disposant de faibles moyens. Pour faire face à cette situation il y a une forte mobilisation des personnels en première ligne (assistantes sociales, médecins, chefs d'établissement, inspecteurs) pour inventer des solutions "bricolées", parfois à la limite de la légalité. Il existe des formations pour repérer les enseignants "en difficulté". Le repérage peut déboucher sur un étiquetage des personnes ce qui est une des raisons de silences prudents. Actuellement, les politiques académiques visent surtout à transférer la responsabilité des solutions à l'échelon local et à mettre en réseau les ressources. Les mesures prises à l'égard des enseignants entrant dans la catégorie "enseignants en difficulté", vont de la sanction disciplinaire au traitement humanitaire, toutes conduisent le professeur étiqueté "en difficulté" à en porter les stigmates dans la suite de sa carrière.
3. Des souffrances ordinaires au cœur du travail enseignant
À partir des résultats de l'enquête ethnographique, nous avons mis au point un modèle que je vais présenter, autour de la prise, de l'emprise, et de la déprise dans le travail. J'aborderai ensuite la tension existant dans le travail enseignant à propos de l'enrôlement et de l'intéressement des élèves, d'une part, de l'identification du "bon travail", d'autre part. Cette tension s'est avérée être centrale dans les difficultés professionnelles des enseignants.
Prise, emprise, déprise
Nous avons été attentifs dans l'enquête pas seulement qui à ce qui peut faire problème mais aussi à ce qui motive, ce qui donne envie de travailler. On appele "prise" les cas où l'enseignant a la maîtrise des situations, on dit d'ailleurs "avoir prise sur" une situation. Globalement on remarque que c'est dans ces situations là, même si les enseignants parlent aussi peu du plaisir que de la souffrance au travail, c'est dans ces occasions-là que le plaisir au travail est le plus fort. C'est le cours qui se passe "comme il faut", ce sont les élèves qui progressent, c'est une capacité à décider, à organiser etc. La logique du projet entre dans ce cadre quand elle permet d'avoir prise sur les situations, de leur donner du sens. La prise sur les situations correspond à des moments qui sont plutôt du côté du plaisir et de la motivation au travail.
Une autre possibilité est l'emprise, quand l'engagement exigé dans le travail est très important sans qu'il y ait pour autant un sentiment de maîtrise sur la situation. C'est alors, plutôt, le sentiment d'être écrasé par le travail, d'être sous l'emprise du travail, qui domine et peut conduire à un certain désengagement. Encore que, dans des conditions pragmatiques d'enseignement, il est difficile de se désengager complètement donc le désengagement est toujours relatif. Quand cela a lieu c'est surtout au moyen d'une diversification des activités de l'enseignant, qui introduit un mécanisme de déprise. La diversification des activités entraîne une relativisation de la place du travail enseignant. La déprise du travail se fait souvent par une mise en continuité d'activités différentes. Par exemple, faire des cours ailleurs, faire de la formation, avoir d'autres activités, rémunérées ou pas, de façon à assurer une déprise de la situation de classe qui paraît la plus problématique dans le travail des enseignants.
Mais, à propos de l'emprise, il faut signaler une ambivalence, qui n'est pas propre au travail enseignant mais qui semble par particulièrement forte dans ce monde professionnel-là. C'est l'ambivalence entre engagement et désengagement. On pourrait dire aussi, entre la routine et le stress. On aboutit à un paradoxe : ne plus être soumis à des épreuves provoque du désengagement et diminue la satisfaction travail, trop dans la routine, il n'y a plus d'épreuves ; et, en même temps, la soumission continuelle à des épreuves impose un excès d'engagement diminuant la satisfaction au travail. C'est une autre raison, on peut en faire l'hypothèse, de la place de la lamentation sur sa propre situation, si fréquente chez les enseignants. Entre la routine et le stress, l'occasion de l'insatisfaction au travail est toujours présente : trop dans la routine ou trop soumis au stress, la réponse au premier problème est elle-même génératrice du deuxième problème. On a donc ici une dichotomie entre stress et routine, entre épreuve et ennui, entre incertitude et sécurité, qui fait que, bien souvent, les routines sont vues comme la part morte dans le travail, un passage obligé. La prise, liée au plaisir au travail par les enseignants est plutôt du côté de la créativité mais elle-même peut créer une surcharge posant problème. Les routines sont construites au cours d'une année scolaire, tout particulièrement lors de la mise en place de l'année, pendant les trois premières semaines qui sont l'occasion de construire et de stabiliser des routines pour définir un cadre assurant une certaine sécurité. Cette première phase impose une vigilance forte, un engagement élevé, mais, dans le même temps, avec une ambivalence. En effet, cet engagement important ne sert, pourrait-on dire, qu'à poser des routines dont le lien avec les résultats scolaires espérés n'est pas évidents. Ceci peut expliquer le constat que, une fois cette période passée, les enseignants manifestent une aspiration à sortir de cette situation car la routine pèse. D'où un certain désengagement progressif au cours de l'année, l'aspiration à recommencer une année, et, à nouveau, un "embrayage" à haute intensité au début de la nouvelle année scolaire.
Quant à la déprise, elle apparaît aussi comme un moyen pour échapper à ce qui est présenté comme un enchevêtrement de tâches, et à la difficulté à bien les faire toutes. Il y a un sentiment, pouvant paraître paradoxal chez les enseignants, qui est celui d'être débordé et de manquer de temps alors que c'est une profession identifiées comme ayant beaucoup de temps. En fait, le sentiment d'être débordé existe du fait que le nombre et la diversité des registres dans lesquels s'exerce ce métier ont augmenté. Du fait même des injonctions institutionnelles qui ont élargi la palette des tâches que doivent assumer les enseignants, qui valorisent de nouvelles tâches dans le cadre d'une transformation du métier enseignant sous couvert de professionnalisation : le registre didactique et pédagogique, l'administratif, l'orientation, le relationnel, les projets, les négociations avec les partenaires etc.
Cela a également donné lieu à une différenciation des évaluations de la performance professionnelle. Un enseignant pourrait dire : "je peux être bon dans la relation pédagogique et être très moyen au niveau de la transmission des savoirs, tout en étant un grand chef dans la maîtrise du relationnel et de l'éducatif avec les élèves, tout en étant minable au niveau de l'administratif etc." ; il y a là une configuration de différents positionnements. Il est généralement difficile de satisfaire de façon positive à toutes les évaluations, dans tous les registres. Cela aboutit à opposer les tâches plutôt centrées sur la classe et celles qui sont plutôt hors la classe. Celles qui sont centrées sur la classe, sont l'objet de contrôles très indirects, essentiellement par les programmes ou plus directement par les élèves ; il y a aussi un contrôle à distance par le système de l'inspection qui n'est pas un contrôle extrêmement proche ni très prégnant sur les enseignants même si l'expérience de l'inspection et de l'évaluation reste une expérience assez forte. Du coup, c'est plutôt du côté de la maîtrise individuelle dans la classe, que nombre d'enseignants vont situer la prise, le plaisir : les tâches dans la classe, avec les élèves. Le reste passe au second plan : on est alors dans la déprise par rapport à ce domaine. Cela se traduit par une propension à essayer de créer une situation de prise dans la classe, dans l'univers pédagogique, tout en étant plutôt en retrait du point de vue institutionnel, à l'égard des initiatives des chefs d'établissement, par rapport à ce qui se passe dans l'établissement.
Ce choix peut s'expliquer également par le fait que du côté des tâches hors la classe il y a un contrôle plus direct et de proximité sur le travail des enseignants et c'est plutôt dans le cadre de ces tâches que les enseignants rencontrent le proviseur, le CPE, l'infirmière,... etc. avec qui ils ont des choses à faire, à négocier... Mais, remarquons que c'est dans cette dimension que s'est développé le discours sur le travail en équipe. Celui-ci concerne ainsi plutôt les tâches hors classes que les tâches directement centrées sur la classe.
Un doute sur la définition du "bon travail"
Il résulte une espèce d'usure de la tentative de bien faire dans tous les registres et surtout, souvent, un sentiment d'impuissance à réussir le "bon travail" car cette situation produit un doute, une incertitude, à propos de la définition de ce qu'est le "bon travail", alors que les études de sociologie des professions et de clinique de l'activité ont montré que les professions se stabilisent autour d'une idée du "bon travail" voire même du "beau travail". C'est aujourd'hui un problème clé pour les enseignants, qui nous conduit à parler d'une crise de transition plutôt que d'une crise de régression ou d'un "malaise". On assiste, selon nous, à une mutation dans la façon de définir ce qu'est le "bon travail" et dans la définition même de ce qu'il est. En effet, le mouvement de redéfinition et de diversification des tâches des enseignants s'est amplifié ces dernières années, même si les enseignants ont toujours fait plusieurs types de tâches, du fait d'une transformation volontariste en relation avec les politiques de décentralisation et avec l'affirmation de l'établissement comme lieu pertinent de régulation, d'action, de décision.
Cette extension des tâches introduit certaines qui, selon les enseignants, ne font pas partie du métier ou donne plus de poids à d'autres jugées jusque là très secondaires ou liées à des choix personnels et non à une conception partagée du métier. Cette évolution a suscité une incertitude sur ce qui définit le travail enseignant. D'autant plus que sur toutes les tâches ne concernant pas la transmission des connaissances, les enseignants sont en concurrence avec des professionnels de la tâche en question. Des professionnels de l'orientation, des professionnels de la discipline, des professionnels de la santé etc., face à eux, les enseignants ne peuvent exister au même niveau, ce qui génère chez eux un sentiment de disqualification. Cela explique le fait que revienne souvent la critique selon laquelle on leur en demanderait trop, qu'il y aurait une surcharge de travail liée à une extension excessive des tâches.
Tensions entre vie professionnelle et vie privée
Il faut aussi évoquer une des caractéristiques de l'emprise dans le métier enseignant, celle qui introduit une tension entre la sphère domestique et la sphère professionnelle du fait notamment de l'évaluation professionnelle qui, de fait, porte sur le travail réalisé dans l'une et l'autre sphère. Pour comprendre cette tension il faut avoir en tête qu'on peut décomposer le travail des enseignants en quatre sphères. La première recouvre le "travail contraint posté" correspondant à l'activité réalisée dans l'établissement ; elle recoupe le "service" (heures de cours, réunions obligatoires etc.). La deuxième sphère est constituée par le "travail contraint périphérique" : on peut le faire dans l'établissement, il est contraint mais cela peut recouper des tâches très diverses telles que des séquences de concertation, des travaux administratifs, des activités de type logistique, les relations avec les parents...etc. La troisième sphère du travail des enseignants, selon une formule qui peut paraître paradoxale, représente ce que nous avons appelé le "travail contraint libre" c'est celui que l'enseignant est obligé de faire bien que se situant en dehors de l'établissement, celui qui, éventuellement, pollue son univers personnel. Sont concernées, la correction des copies représentant selon les enseignants la part noire du travail, et la préparation des cours qui, elle, est considérée comme la part rose, positive, créative, du travail. Enfin, la dernière sphère, qu'on pourrait qualifier de "travail libre" inclut le travail de formation personnelle, le travail de lecture, d'approfondissement, etc. Un enseignant peut choisir de passer plus de temps à corriger, à préparer des cours, à élaborer des projets, c'est le travail par plaisir, quand il accepte un certain envahissement de sa sphère personnelle. Par exemple, aller voir une exposition, un film, avec l'intention de l'utiliser ultérieurement pour son travail. On peut donc dire que le travail enseignant se répartit de façon inégale entre ces quatre sphères. L'enquête a permis de constater l'existence de tensions fortes du fait d'un envahissement accru de la sphère personnelle par la sphère professionnelle en relation avec les nouvelles conditions d'exercice (intensification du travail et difficulté du travail d'intéressement des élèves).
Le sentiment d'être débordé, fréquemment exprimé par les enseignants, provient d'un empêchement à préserver la sphère domestique, personnelle, d'un envahissement professionnel d'autant plus fort quand on veut bien faire son travail. Il y a donc un paradoxe difficilement surmontable puisque, soit un enseignant veut faire son travail au mieux avec le risque, dans le contexte actuel, d'un envahissement excessif, soit il limite cet envahissement en réduisant son engagement mais, faisant cela, il rogne aussi sur l'idéal du métier et, du coup, éprouve d'autres motifs d'insatisfaction dans le travail même si cette attitude lui permet d'avoir une meilleure prise sur les situations.
Une organisation du travail permettant un équilibre entre les différents moments et lieux du travail, du temps pour préparer les cours ou autres séquences et projets, la réussite des élèves..., procurent le sentiment de faire du bon travail. Par contre, le doute sur les résultats de son activité à travers les mauvais résultats des élèves, mine cette assurance. L'empathie des enseignants par rapport aux résultats scolaires des élèves est très forte, au point que l'échec scolaire des élèves est traduit en échec professionnel des enseignants, y compris par eux. Même si les responsables de la situation désignés par les enseignants sont en premier les élèves, ensuite l'administration (les programmes, le matériel etc.), voire les parents ; les enseignants se mettent eux-mêmes en cause dans un exercice fréquent d'auto dénigrement quand les difficultés, les échecs, recouvrent les réussites quotidiennes pour faire tenir les situations, pour faciliter l'apprentissage des élèves, pour construire leur intérêt aux études.
Le sentiment de prise existe, finalement, quand sont oubliés les efforts pour construire une situation de cours qui a bien fonctionné, par exemple. Un enseignant dit avoir prise sur les situations quand il a oublié le travail demandé, quand la situation semble exister de façon "naturelle" ; la réussite est alors attribuée au charisme du professeur quand ce n'est pas à la simple chance. Quand le travail réussit à se faire oublier, le résultat produit est considéré comme supérieur.
Conclusion : une crise de transition
En conclusion, on peut dire que, d'une part, la définition du "bon travail" n'est plus claire ce qui est un des aspects essentiel des difficultés des enseignants ; d'autre part, la démocratisation et la réduction pragmatique des exigences entraînent une sorte de crise de transition dans le métier enseignant.
Le travail d'intéressement des élèves est devenu central, au moyen d'une activité d'enrôlement des élèves qui ne va pas de soi et exige un engagement de la personne de plus en plus important. La sphère professionnelle et la sphère personnelle sont concernées.
La place de l'incertitude est plus grande, notamment du fait de la dévolution de la régulation au local. Cela fait que les enseignants sont, plus qu'avant, obligés d'exposer leur propre personne pour pouvoir gérer les situations. Dans ce mécanisme d'engagement de soi dans la situation, pour la faire tenir, le "soi-même" comme ressources est en cause. C'est ce que les enseignants disent quand ils affirment qu'il faut désormais travailler "avec ses tripes", qu'il "ne faut pas être malade", etc. pour réussir son activité. Cette mobilisation de la personne dans le travail est, certes, une évolution générale du monde du travail. Jean-Louis Derouet le décrivait, pour l'éducation, dans "l'école et la justice" : au fur et à mesure que la règle est plus à distance, que la régulation est plus locale, les personnes sont plus convoquées dans les situations et dans leur règlement.
Dans cette perspective, l'individualisme défensif accroît les difficultés. Individualisme défensif qui a longtemps été le mode de régulation de la profession enseignante, depuis les décrets 50. En résumé, on trouvait des statuts forts gérant la protection du métier, sans obligation à travailler dans un autre registre que celui prévu dans la classe. Désormais cet individualisme défensif produit de la difficulté. Ainsi, peut-on mieux comprendre nos conclusions, qui semblent être corroborées par des enquêtes statistiques (MGEN, syndicats), selon lesquelles il n'y a pas fondamentalement plus de difficultés dans le travail enseignant, concernant leur nature sinon toujours leur intensité, quel que soit le type d'établissement. Que ce soit à travers le critère de la médicalisation, ou à travers les entretiens et observations que nous avons eus dans différents établissements, il apparaît des difficultés communes. Cela tient, notamment, au fait que, dans le contexte actuel de redéfinition du métier, l'individualisme défensif doit être abandonné au profit d'entraides collectives, de coopérations, de coordinations, et d'une définition partagée des situations, de ce qu'il faut faire, du "bon travail", ce qui implique un jugement et un regard sur le travail de l'autre. Aussi, le fait que les enseignants aient plus ou moins de difficultés dans leur activité et plus ou moins de facilité à en parler, n'est-il pas seulement dû à des raisons externes. Quantitativement ou qualitativement il n'y a pas moins de difficultés dans un établissement dit "favorisé" du fait justement de cet individualisme défensif souvent plus important dans ce contexte.
On est passé d'une situation dans laquelle il y avait une forme de régulation qui faisait l'accord, à une situation où la régulation héritée n'est pas épuisée, persiste en partie, mais ne convient plus et n'est pas encore remplacée. D'où la tendance, compréhensible, des enseignants, à se référer au mode de régulation existant dans un contexte où le débat, peu développé à l'intérieur du métier, ne permet pas encore d'en définir un nouveau qui fasse l'accord.