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Récupérer l'expérience enseignante dans une perspective critique : d'une relecture d'"Exit, Voice and Loyalty" à une nouvelle théorie

von adminZuletzt verändert: 07.02.2013 14:05

Communication de Jean-Louis Derouet pour le séminaire sur le travail enseignant. Séance du 9 novembre 2005 : De la mission à l'activité : nouvelles questions, nouvelles approches.

Jean-Louis Derouet

UMR Éducation & Politiques

L'UMR Éducation & Politiques situe son travail dans la tradition de la sociologie pragmatique qui s'est développée en France à l'EHESS dans les années 1980-1990. À ce titre, elle a prolongé une anthropologie des compétences politiques des acteurs développée par Boltanski & Thévenot (1990). L'action en situation se réfère à des principes extérieurs à la situation : des négociations locales aboutissent à la création de normes intermédiaires qui travaillent ensemble les questions d'organisation, les questions de discipline et les questions de contenu (Derouet 1991). Cette approche a été développée dans l'étude du fonctionnement des établissements scolaires (Lantheaume 2004, Normand 2004). Le but du séminaire serait d'utiliser les mêmes références pour construire l'activité enseignante en objet scientifique autonome.

L'UMR doit beaucoup, au travers de Luc Boltanski, à Albert Hirschmann. Celui-ci a proposé une trilogie pour penser les rapports des personnes et des institutions : "Exit, Voice, Loyalty" (1972) . Il serait utile de relire ce livre dans une conjoncture où le management a récupéré les critiques que les sciences sociales avaient adressées à l'organisation du travail dans les années 1960-1970 (Boltanski & Chiapello 1999). Ainsi la critique du taylorisme avait montré que les organisations ne peuvent fonctionner sur une simple application des consignes. Il faut que les personnels d'exécution comprennent leurs tâches, prennent des initiatives et négocient des règles de portée locale. Ces compétences qui avaient été mises en valeur dans un but de libération deviennent une obligation qui renouvelle les moyens de la domination. Les personnes sont évaluées en fonction de leur engagement, de leurs aptitudes à communiquer, travailler en équipe, faire face aux imprévus, etc. Et malheur à qui est jugé peu flexible. Les possibilités d'évolution lui sont fermées et, dans le secteur privé, il fera partie de la première charrette en cas de réduction des personnels.

Exit, Voice, Loyalty : un classique revisité

Fonctionnaires, les enseignants se situent au moins en partie du côté de l'adhésion (Loyalty) mais en partie seulement. Ils sont soumis à une avalanche de prescriptions qui ne correspondent pas à l'état du terrain. Certains vivent cet échec comme une souffrance. D'autres élaborent une théorie spontanée de la résistance civile. Leur niveau d'études leur permet de construire et de défendre une conception du bien différente de celle que promeuvent les instructions officielles. L'inspecteur comme le ministre ne sont que de passage. Le fonctionnement du système repose sur les décisions qu'ils prennent en situation. Pourquoi ne pas en profiter ? D'autres enfin travaillent des compromis entre les injonctions nationales –voire les évaluations internationales– et les contraintes de situation.

La protestation (Voice) se heurte aux difficultés qui sont celles de la pensée critique aujourd'hui. Tout d'abord, le fait que ses résultats et ses méthodes aient été récupérés par la gestion. Après les critiques de la centralisation et de la bureaucratie développées dans les années 1960-1970, comment défendre aujourd'hui les principes du service public face au marché sans passer pour un jacobin ringard, voire le défenseur d'intérêts corporatistes ? Ensuite, parce qu'il est impossible de formuler une définition du Bien qui fasse accord. Quelle que soit la proposition, elle a déjà été critiquée et toutes les ressources sont disponibles dans l'opinion (Boltanski 1990).

Le retrait (Exit) complet est impossible mais, dans la situation qui vient d'être décrite, cette position tente un certain nombre d'enseignants : une limitation des risques en classe et un déplacement des investissements vers la vie personnelle.

Les politiques du proche : revisiter le militantisme pédagogique

La sociologie se trouve en porte à faux, parce qu'elle retrouve dans l'objet qu'elle doit étudier ses résultats, ses concepts et ses méthodes. Pour reconstruire une certaine extériorité, elle doit revenir à la base, c'est-à-dire mieux connaître les nouvelles formes de souffrance qu'entraîne la nouvelle organisation du travail et récupérer les "arts de faire" qui permettent aux petits d'aménager la situation de domination.

Le premier problème est de les repérer, le second de leur donner une forme conceptuelle. Le projet est ancien, il remonte au moins à la fin des années 1960. De jeunes chercheurs (historiens, sociologues, anthropologues, etc.) ont mis en cause les déterminismes que portaient le fonctionnalisme, le structuralisme et le marxisme et ont proposé de diriger le regard sur l'intelligence rusée, les arts de faire qui parvenaient parfois à retourner la puissance de la domination contre elle-même (Détienne-Vernant 1974). Les propositions de De Certeau (1990-1994) étaient peut-être trop optimistes. Il est important de mettre en évidence la puissance des braconnages. En même temps, la domination reste la domination.

Laurent Thévenot reprend la question dans un cadre épistémologique contemporain. Il tente de conceptualiser une forme de lien social qui relève des politiques du proche (1993, 1999). Dans la théorie classique, les mobilisations supposent le détachement du local et des liens personnels. La crise du politique montre les limites de cette conception. Les personnes désertent les grands appareils (partis, syndicats, Église) qui reposent sur ce principe. Il est en revanche possible d'observer des coordinations où les personnes gardent leurs attaches locales et particulières et travaillent ensemble pour l'intérêt général. Une des caractéristiques de ce travail est de construire un militantisme global qui ne sépare pas l'école de l'habitat, des transports, etc. (Dutercq & Lafaye 2003). Cette démarche s'inscrit dans le prolongement d'un mouvement qui avait été initié par les prêtres ouvriers et qui a abouti à l'idée de communauté scolaire dans les années 1960 et 1970 (Derouet 1991). À ceux qui s'étonnaient que des prêtres prennent des responsabilités syndicales ou participent à l'introduction de ce qu'on appelait après la deuxième guerre mondiale le planning familial, ceux-ci répondaient que la vision ordonnée du monde qui fait qu'on s'adresse au prêtre pour les besoins spirituels, au médecin pour la santé, au syndicat pour le travail, au banquier pour l'argent, etc. est le propre des classes cultivées. Les familles populaires n'analysent pas leurs problèmes par catégorie. Elles les déballent tout à trac et ont besoin d'une prise en charge globale, qui suppose une équipe paroissiale comportant aussi bien des médecins que des syndicalistes, des juristes, des psychologues qui peuvent en même temps être prêtres. D'où cette idée de communauté qui est passée des paroisses à la médecine, spécialement psychiatrique, puis de la psychiatrie à l'école.

La résistance : un cadre général pour la recherche

Au plan militant, ce mouvement a été récupéré par la gestion et a échoué. L'orientation demeure néanmoins. Elle a été étudiée dans le domaine de l'habitat et de l'emploi (Breviglieri 1999 ; 2003). Dans le domaine de l'éducation elle rend bien compte de l'expérience des élèves. Ceux-ci se sentent beaucoup moins tenus par les règlements officiels que les enseignants. Ils développent dans les établissements scolaires la construction d'un lien politique autonome que Patrick Rayou caractérise par le terme de philia (2000). Celui-ci est sensible aux références civiques d'égalité mais ne les sépare pas de la proximité entre les personnes et de la reconnaissance des différences (Ricœur 2004). Cette philia soutend la construction d'une "Cité invisible" qui régit les rapports entre les jeunes et que les adultes n'aperçoivent pas. D'où une interrogation sur le sens de la conformité des élèves conformes. S'agit-il d'une véritable intégration des valeurs portées par les adultes ? Ou d'arts de prudence qui évitent la confrontation ?

Hélou (1994) prolonge cette réflexion en s'intéressant aux arts de faire. Ce faisant, il formule une nouvelle théorie de la résistance. Il ne s'agit pas, comme chez les sociologues anglo-saxons, d'opposer une culture populaire à celle des élèves d'origine ouvrière (Willis 1977) mais d'étudier la manière dont les jeunes récupèrent des éléments de la culture scolaire pour les utiliser dans un but de subversion. Ils retrouvent par là les vieilles techniques de freinage de la production de la tradition ouvrière : casser le rythme du cours en posant des questions incongrues ; négocier la définition des contenus, la charge de travail, les règles de l'évaluation, etc.

Il serait sans doute éclairant d'utiliser cette notion pour rendre compte de l'expérience enseignante. Une telle entreprise, passant bien sûr par une étude du rôle des syndicats. C'est une différence qui subsiste entre la France et le modèle porté par les organisations internationales. Dans un livre récent, David Hargreaves étudie les conséquences de la destruction des syndicats par le gouvernement de Margaret Thatcher au Royaume-Uni : une perte de référence, des enseignants flottants dans un monde d'incertitude (Hargreaves 2003). En France, les syndicats existent toujours et constituent un passeur qui propose des interprétations des directives officielles (Robert 2003).

"Rendre compte" : une obligation réciproque

L'étude des compétences qui sont ainsi mises en œuvre contribue peut-être à fonder une nouvelle critique. Elle pourrait contrebalancer un mouvement qui s'est développé dans les années 1980 aux Etats-Unis, un peu plus tard en Grande-Bretagne et qui arrive en France. Les enseignants sont accusés de tous les maux dont souffre l'école. L'échec des réformes - excellentes, forcément excellentes - des ministres est attribué au manque d'engagement des enseignants. Les difficultés auxquelles se heurte à l'application des mesures concernant les droits des élèves amène une mise en accusation de l'école "lieu de non-droit". Ces dénonciations ne sont pas sans fondement, mais elles reposent sur des généralisations rapides. Il est en outre permis de s'interroger sur leur sens politique (Berliner-Biddle 1995) : si les enseignants sont irresponsables, la solution la plus raisonnable est un pilotage de l'école par l'aval. Ce serait dans ce cas, les parents de classe moyenne gouverneraient le système par le choix des établissements. Cette orientation est dominante aux États-Unis depuis le rapport "A Nation at Risk", c'est aussi celle du néo-travaillisme anglais. Elle se développe en France au moment où elle commence à être remise en cause aux États-Unis. Jane Anyon propose d'inverser l'imputation de responsabilité (ou d'irresponsabilité). Face à la très grande pauvreté (Pair 1998, Oeuvrard 2002), à l'exclusion, n'est-ce pas à l'État d'assurer les conditions minimales qui permettent à l'école de développer son action ? (Anyon 2005)

ANYON J., 2005, What “Counts” as Educational Policy ? Notes toward a New Paradigm , Harvard Educational Review, 75 (1), p. 65-88.

BERLINER D.C, BIDDLE B.J., 1995, The manufactured crisis. Myth, fraud and the Attack on America's Public Schools , Reading, MA : Addison-Wesley.

Boltanski L. 1990, Sociologie critique et sociologie de la critique, Politix-10-11

Boltanski L. & Chiapello E . 1999 Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard

BOLTANSKI L & THÉVENOT L 1990 De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard

Breviglieri M. 1999, L'usage et l'habiter. Contribution à une sociologie de la proximité , thèse de doctorat de sociologie, sous la direction de L. Thévenot, EHESS

Breviglieri M. 2003 Quelques effets de l'idée de proximité sur la conduite et le devenir du travail social , 2003e, avec Pattaroni L. et Stavo-Debauge J., Revue Suisse de Sociologie-29(1), 141-157

de Certeau M. 1990-1994 L'invention du quotidien : 1. Les arts de faire, 2. Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard

Derouet J.-L. 1992 École et justice. De l'égalité des chances aux compromis locaux ? Paris, Métailié

Détienne M. & Vernant J.-P. 1974, Les ruses de l'intelligence. La métis des Grecs , Paris, Flammarion

Dutercq Y. & Lafaye C. 2003 Engagement et mobilisation de parents autour de l'école. Les actions pour le maintien en ZEP d'écoles parisiennes , Revue française de sociologie-44-3, 469-496

HARGREAVES A., 2003, Teaching in the Knowledge Society : education in the age of insecurity , Buckingham, Open University Press.

Hélou C. 1994 Ordre et résistance au collège , Thèse de Doctorat nouveau régime, sous la direction de Luc Boltanski, EHESS

HirSchman A.O. 1972 Exit Voice and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations, and States , Harvard University Press

LANTHEAUME F, DEROUET JL, 2004 L'évaluation du fonctionnement des établissements scolaires. La coordination de l'action dans les lycées professionnels : une enquête ethnographique dans quatre établissements , disponible sur le site de l'UMR Éducation & Politiques : http://ep.ens-lyon.fr

NORMAND R, DEROUET JL, 2004 Les conventions de qualité dans les lycées professionnels : une enquête dans la région Rhône-Alpes , disponible sur le site de l'UMR Éducation & Politiques : http://ep.ens-lyon.fr

ŒUVRARD F., 2002, Les « enfants pauvres » dans les statistiques scolaires , in Grande pauvreté et réussite scolaire. De l'école au lycée , Nice, MEN-DESCO, 28 au 28 octobre.

PAIR C., 1998, L'école devant la grande pauvreté : changer de regard sur le Quart Monde , Paris, Hachette Éducation.

Rayou P. 2000, La Cité des lycéens , Paris, L'Harmattan

ROBERT, A D. 2003, (dir) Le syndicalisme enseignant et la recherche : clivages, usages, passages , Grenoble, Lyon, PUG-INRP

RICŒUR P. 2004 Parcours de la reconnaissance : trois études , Paris, Stock

Thévenot L. 1993 Agir avec d'autres ; conventions et objets dans l'action coordonnée , in Ladrière P., Pharo P., Quéré L. (eds.), La théorie de l'action. Le sujet pratique en débat , Paris, Ed. du CNRS, 275-289

Thévenot L . 1999 Faire entendre une voix. Régimes d'engagement dans les mouvements sociaux , Mouvements -3 , mars-avril, 73-82

Willis P. 1977, Learning to Labour : how working-class kids get working-class jobs , Farnborough, Saxon House

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