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PISA : controverses et débats en Belgique francophone. Des indicateurs à la qualité.

Par adminDernière modification 20/06/2006 11:25

Communication de Frédéric Moens

Frédéric Moens, professeur à l'IHECS et au CRB, chercheur au GReSAS, FUCaM 1

Les politiques éducatives semblent se soustraire aux logiques nationales qui jusqu'ici leur donnaient sens. Inscrites dans les canons de la nouvelle gestion publique et de la gouvernance, elles échappent aux localismes des positions politiques pour se réduire à un ensemble de normes permettant, in fine , une standardisation internationale. Cette contribution fait le choix de s'intéresser à la question de l'effet performatif des indicateurs concourant à l'évaluation des politiques éducatives nationales. À travers quelques éléments factuels de la réappropriation des résultats de l'enquête PISA dans la Communauté française de Belgique, il appert que les outils participant à la gestion précèdent les politiques elles-mêmes. Celles-ci ne sont plus que des enveloppes résultant d'un ajustement à une volonté technique présentée comme extérieure.

Les résultats belges à l'enquête PISA organisée par l'OCDE dans 41 pays du monde sont singulièrement bons. Le pays se place au huitième rang, c'est-à-dire au dessus des moyennes internationales (alors qu'elles sont à 500, il se situe à 515) et précède la France de cinq places. Toutefois, ces excellents résultats obtenus en 2003 cachent des réalités très contrastées en fonction des deux grandes communautés du pays. D'une part, la Communauté flamande obtient des résultats très largement supérieurs aux moyennes, allant dans le volet mathématique jusqu'à se positionner en première place des pays participant à l'évaluation (avec un score de 553 pour une moyenne OCDE de 500). Dans les trois catégories testées par PISA, la Communauté flamande appartient à la catégorie des pays qui se distinguent significativement et de façon positive de l'ensemble des participants. D'autre part, la Communauté française ne bénéficie pas du même classement ; elle est au mieux dans la moyenne internationale (tel est le cas en mathématique où elle se place en vingt-deuxième position avec un score de 498) et au pire dans le tiers inférieur (tel est le cas tant en compréhension à l'écrit qu'en culture scientifique, où elle n'emporte que la trentième place avec respectivement 477 pour une moyenne OCDE de 494 et 483 pour une moyenne de 500). La qualité apparente de la moyenne belge reflète donc surtout le résultat de la partie néerlandophone du pays.

Ces différences de performance entre les deux grandes communautés du pays 2, ne s'expliquent pas aisément. Les raisons les plus souvent convoquées pour donner sens à ces écarts de résultat insistent sur la différence morphologique entre les populations d'élèves au Nord et au Sud du pays ; densité de l'immigration, taux de chômage plus important, plus grande précarité, poids du retard scolaire, autant de causes qui participeraient à l'explication de la distance séparant les scores des deux Communautés. De plus, ces éléments comme les résultats qu'ils provoquent dans les performances scolaires ne sont pas récents ; dès avant la communautarisation 3 de l'enseignement, les élèves de la partie flamande du pays réussissait mieux à l'école. Toutefois, la Communauté flamande, au même titre que la Communauté française, est épinglée dans l'enquête PISA pour le caractère inéquitable de son enseignement. Cette « inéquitabilité » et les modestes résultats affichés par la Communauté française amènent à décrire ses logiques éducatives et politiques propres héritées de l'histoire de la Belgique.

En effet, historiquement, la Belgique n'est pas un pays où l'évaluation générale des performances réalisées par les services aux personnes a sa place ; ainsi, dans le champ scolaire, la tradition d'une épreuve commune –du type baccalauréat français– permettant de comparer les résultats des élèves et des écoles n'existe pas. Cet état de fait est le résultat d'une histoire culturelle et politique (décrite lors de ce colloque par les professeurs Anne Van Haecht et Jean-Émile Charlier). La Belgique repose sur un régime consociatif. Sa société, segmentée en « piliers » 4, est subdivisée en sous-groupes linguistiques, religieux ou politiques relativement homogènes ; le régime consociatif permet à cet ensemble disparate de coexister sinon harmonieusement du moins pacifiquement et démocratiquement. Dans un tel régime, l'éducation est renvoyée pour une large partie à un « secteur privé » marqué idéologiquement. Les écoles relèvent des piliers, elles expriment une sensibilité idéologique particulière mais rendent un service public fonctionnel. Usuellement, ce qui est jugé n'est pas le résultat de leurs élèves mais le respect par l'institution de l'idéologie qu'elle promeut 5. La liberté de choix doit rester totale et structurée avant tout par l'affiliation implicite à un pilier. Dès lors, tout élément « objectif » –comme le seraient les performances relatives à une épreuve standardisée– doit être oblitéré : les choix sont idéologiques (ou philosophiques dans la terminologie autochtone). Aujourd'hui encore cette structure et ce mode de fonctionnement subsistent. Les coûts financiers et sociaux d'une telle organisation ne sont pas nuls. La pluralité de réseaux d'enseignement soumis aux mêmes devoirs mais bénéficiant largement des mêmes avantages ouvre certes le choix des bénéficiaires, elle induit également une importante disparité entre les résultats des établissements et des filières d'enseignement 6.

Dans un tel cadre, l'enquête PISA constitue l'irruption radicale du comptable. L'avant-propos du rapport 2004 décrivant les résultats de l'enquête est dès l'entrée sans ambiguïté : "The prosperity of countries now derives to a large extent from their human capital, and to succeed in a rapidly changing world, individuals need to advance their knowledge and skills throughout their lives" ( Aujourd'hui, la prospérité des nations dépend dans une grande mesure de leur capital humain et, pour réussir dans un monde qui évolue rapidement, les individus doivent continuer à étoffer leurs connaissances et compétences tout au long de leur vie) (PISA 2004:3). L'OCDE se positionne parmi les plus fervents partisans du lien entre l'économique, c'est-à-dire le travail, et l'éducation délivrée aux personnes tout au long de leur existence dans le but précis de les insérer dans un monde productif (une récente étude, OCDE 2004, insiste plus largement encore sur le lien entre l'orientation et la formation et les politiques publiques dans leur globalité). Cette vision pragmatique et finalisée de la formation est partagée par l'ensemble des organismes internationaux, au premier rang desquels des prescripteurs aussi puissants que la Banque mondiale ou l'Union européenne. Si le lien entre la prospérité des nations et la formation peut paraître justifié dans l'acquisition de savoirs de base, elle est également le moteur des réformes européennes portant sur l'enseignement supérieur. L'enseignement perd ainsi toute autonomie pour ne plus être qu'un marchepied à l'entrée (ou au maintien) dans une « vraie vie », nécessairement économique. L'équité n'est plus un problème en soi mais une question d'insertion professionnelle, la massification se réduit aux contraintes imposées par une société de la connaissance, les cursus à une adéquation à un marché surplombant.

Dans la situation belge où l'école sans être hors du monde répondait avant tout à une éducation « philosophique », elle se retrouve confrontée à la nécessité d'être finalisée : elle doit viser la formation professionnelle et ce d'autant plus que la situation du pays, singulièrement au Sud, est dramatique en termes de chômage. L'irruption des résultats de l'enquête a induit une remise en cause de la justice telle qu'elle était entendue jusque là dans cet univers piliarisé. Les deux modèles étant incommensurables, il faut nécessairement réformer la logique belge puisque les logiques internationales (que la Belgique et ses composantes participent grandement à créer) s'imposent aux logiques locales.

En Communauté française, l'enquête PISA 2003 7 a concerné 2940 élèves issus de 103 écoles appartenant aux différents réseaux et cela au prorata de la place qu'ils occupent dans le système éducatif. La Belgique ne pratiquant pas la promotion automatique des élèves (42 % des jeunes y accusent un retard scolaire d'au moins un an), l'enquête s'est déroulée dans différentes années d'études. Par delà les scores moyens que les élèves de la Communauté ont obtenus, trois éléments doivent être soulignés. Le premier est la grande dispersion des résultats ; 16 % des élèves réalisent des performances complexes et, à l'autre extrémité, 23 % ne dépassent pas le niveau le plus élémentaire. Le deuxième est la mise en évidence d'une hiérarchisation des filières. Si les résultats ne sont lus que pour l'enseignement de transition, la part des meilleurs passe à 34 % alors que celle des médiocres décroît jusqu'à moins de 2 % 8 ; lorsque, au contraire, ne sont envisagés que les élèves des filières qualifiantes, les scores passent à 4 % de bons pour 22 % de très faibles. Le troisième élément réside bien dans le handicap majeur que constitue le fort taux de redoublement observé ; le retard scolaire des jeunes est un facteur préoccupant et pesant lourdement sur la performance générale.

L'ensemble de ces constats n'a pas fait l'objet d'un débat virulent hors des sphères scolaires où a été souligné leur trivialité et, surtout, les causes politiques qui les motivaient. Le public, sans se féliciter du résultat 9 de la Communauté, l'a accepté. Les critiques dont la presse a pu se faire l'écho n'ont que très rarement porté sur les méthodes de l'enquête pour viser plutôt les déficiences locales de l'enseignement ainsi mises en avant. Le propos général fut que le pays devait se plier à la vérité des résultats : les problèmes rappelés et soulignés par l'analyse des résultats devenaient des questions essentielles à résoudre. Si la presse et une partie du public ont mené campagne pour que la Belgique et la Communauté française brillent mieux lors des prochaines enquêtes PISA, et aussi pour que l'enseignement permette une meilleure insertion sociale, le fait majeur est que le gouvernement a fait de cet enjeu une question centrale de son mandat.

Le premier pas fut l'élaboration d'un contrat stratégique pour l'école par la ministre communautaire de l'éducation. Ce document, fourmillant de plusieurs centaines de propositions, a été finalisé en mai 2005 sous le vocable de « contrat pour l'école » et reprend cinquante projets de réforme. L'objectif est, à terme de huit années (2013) 10, de pallier les déficiences soulignées dans les enquêtes internationales au premier rang desquelles PISA. Quatre lignes de conduite y sont déployées : accroître la maîtrise par les élèves des apprentissages de base, diminuer le taux d'échec scolaire et augmenter le nombre de diplômes dispensés par les écoles, diminuer la ségrégation scolaire et la hiérarchie des filières et, enfin, revalider les filières qualifiantes pour qu'elles ne constituent plus une voie de relégation.

Ces lignes de force, comme les propositions qui ont été émises lors des débats organisés autour du contrat stratégique paraissent indiscutablement positives. Qui voudrait consciemment s'opposer à des buts aussi désirables que la meilleure formation de la jeunesse et sa plus pleine insertion dans le monde du travail ? La méthode de travail développée par la ministre, sur la base de ces objectifs désirables par tous, fut d'associer tous les partenaires à la discussion. Selon les principes de bonne gouvernance, le premier pas fut, en novembre 2004, de produire une déclaration commune associant le gouvernement (à travers la ministre) aux organisations représentatives de la communauté éducative et aux partenaires sociaux ; cette déclaration emportant explicitement l'adhésion de tous énonçait six objectifs qualitatifs 11. Ensuite, ces premiers éléments admis par tous, il devenait relativement aisé de les couler en mesures applicables et mesurables. L'aliénation des partenaires se poursuivant tout au long du débat puisque pendant près de six mois les propositions techniques élaborées par des experts ont été confrontées et enrichies par un débat public et une consultation des enseignants. Le libre débat public et la consultation d'un échantillon de convenance prenant les oripeaux de la démocratie directe, l'ensemble du projet est entré en application lors de cette rentrée scolaire (principalement par une intervention sur le premier cycle primaire où les compétences de base doivent être assises avec le plus de poids).

Dans l'ensemble des mesures prises (plus de quarante réparties en dix priorités), deux prévoient l'organisation d'une évaluation externe standardisée et d'une épreuve de fin de primaire. Ces mesures, anodines en elles-mêmes, remettent en question l'organisation traditionnelle de l'enseignement sans qu'une quelconque fronde ait été visible. Ainsi, la faiblesse relative des résultats de la Communauté française lors du test PISA va induire une transformation importante (et indirecte) de la structure de son enseignement. En quelque sorte, ce sont bien les indicateurs qui provoquent une politique de la qualité : le gouvernement de la chose publique ne repose plus prioritaire sur l'histoire et la politique d'un pays mais sur l'interprétation de normes techniques internationales.

1Facultés universitaires catholiques de Mons, 151 chaussée de Binche, 7000 Mons, Belgique, tel. ++32 (0)65 32 33 44, fax. ++32 (0)65 32 33 65, mailto:frederic.moens@fucam.ac.be

2La troisième communauté du pays est la Communauté germanophone, forte seulement de 71 287 habitants selon les chiffres officiels du 1 er janvier 2002. Les scores obtenus par cette Communauté sont légèrement meilleurs que ceux de la Communauté française mais la situent néanmoins dans la même catégorie de pays ne se distinguant pas significativement de la moyenne OCDE.

3Depuis 1989, les compétences liées à l'enseignement (du niveau maternel à l'enseignement supérieur) ont quitté l'État fédéral pour être confiées aux entités fédérées que constituent les Communautés.

4Les piliers sont des « familles politiques » ou idéologiques regroupant en leur sein des associations culturelles, économiques ou politiques ; au terme de compromis historiques, certaines missions publiques ont été confiées par l'État à ces organisations « confessionnelles ». Ainsi, par exemple, l'enseignement, les soins de santé ou l'assurance chômage sont partiellement ou totalement pris en charge par les piliers.

5Évidemment, même dans la tradition la plus stricte, il existe une sorte de classement, totalement informel, des institutions scolaires. De grands collèges catholiques ou de brillants lycées d'État sont reconnus depuis toujours. Toutefois, leur étiquette idéologique demeurait l'argument premier mobilisé pour le choix. Aujourd'hui, la dilution du croire (la sécularisation) ne paraît paradoxalement pas affaiblir le pilier catholique, toujours très présent et singulièrement homogène même si la référence directement religieuse n'y est plus prégnante.

6Dès la troisième des six années d'enseignement secondaire (le second degré), les élèves peuvent s'orienter (ou être orientés) de l'enseignement général (dit de transition) vers des filières qualifiantes (techniques ou professionnelles). Les enquêtes (entre autres PISA) renforcent le sentiment général : ces filières sont strictement hiérarchisées.

7Pour cette Communauté comme pour la Belgique, les résultats 2003 confirment ceux de 2000 ; dans chaque partie du pays, les scores obtenus lors de la dernière enquête sont un peu meilleurs que ceux obtenus la première fois. Dès 2000, le caractère inéquitable de l'enseignement en Belgique avait été souligné.

8Il s'agit des chiffres applicables aux élèves se trouvant en 4 ème année du secondaire, c'est-à-dire ceux qui n'ont aucun retard scolaire. Les jeunes se trouvant encore en 3 ème année lors de l'enquête ont des résultats moins brillants (7 % parmi les meilleurs et 12 % parmi les moins bons).

9Même s'il s'agit d'un autre débat, il est intéressant de constater que dans la presse les résultats de l'enquête ont amené régulièrement à l'établissement de classements et autres palmarès, le plus souvent caractérisés par le caractère non-significatif des écarts soulignés. Il fallait, semble-t-il, se situer par rapport au reste du monde et en tirer des enseignements pratiques (positifs ou négatifs, selon la place occupée dans ce hit-parade). Finalités comme moyens de l'évaluation sont toujours pris dans l'évidence (entre autres du lien entre éducation de base et taux d'emploi).

10C'est-à-dire au moment où les enfants entrant en 1 ère année primaire à la rentrée 2005 finiront le premier cycle de l'enseignement secondaire.

11Il s'agissait de (1) "augmenter les performances des élèves en lecture, en mathématique et en sciences", (2) "permettre à chaque élève d'atteindre les socles de compétences", (3) "favoriser l'hétérogénéité des publics dans chaque établissement", (4) "mettre sur pied d'égalité les différentes filières d'enseignement", (5) "lutter contre tous les mécanismes de relégation" et (6) "augmenter le niveau d'éducation de la population scolaire".

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