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Évaluation, "Bien public" et Marché : les incertitudes de la politique en communauté française de Belgique

Par adminDernière modification 20/06/2006 11:22

La communication d'Anne Van Haecht

Anne Van Haecht, Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles

Historiquement, la piliarisation du système d'enseignement belge a fait de l'évaluation des établissements un sujet tabou. L'une des conséquences de cet état de fait a été longtemps l'inexistence de statistiques officielles permettant de se faire une idée précise de la « qualité » relative des écoles au fil de l'enseignement obligatoire (et au-delà). Il n'empêche que le mode de fonctionnement du système est celui d'un quasi-marché (concurrence entre réseaux et entre écoles) alors même que le caractère de service public est reconnu aux réseaux officiel et libre. Si toute personne impliquée dans l'enseignement était au courant de l'existence des profondes inégalités sociales engendrées par un tel mode de régulation, la publication très médiatisée des résultats des enquêtes Pisa les mettait crûment à jour. Les piètres scores obtenus par les élèves de la Communauté française et la corrélation significative entre établissement fréquenté et réussite scolaire devaient appeler des réponses politiques.

Les années quatre vingt dix ont été marquées par de nombreuses grèves d'enseignants protestant contre les opérations de rationalisation budgétaire du secteur. A cette époque, les syndicats ont été déforcés, notamment par l'appel fait à d'autres acteurs (pouvoirs organisateurs, associations de parents, par ex.) pour soutenir les décisions ministérielles prises sans souci de la concertation sociale habituelle. Depuis lors, les ministres de l'éducation successifs n'ont eu de cesse de retrouver un peu de confiance chez les enseignants qui allaient plus tard encore être traumatisés par l'effet Pisa. Un décret a ainsi été pris en 1997, sur base d'une « large consultation préalable », pour définir les « missions » de l'école, tenter d'assurer à tous les élèves des acquis minimaux (socles de compétence) et mettre en place les premiers éléments d'un dispositif d'évaluation. Il a été suivi en 2002 d'un décret relatif au pilotage du système éducatif. Les syndicats des enseignants ont alors relayé les doléances de leurs affiliés quant à ce contexte de réformes et ont déposé en 2003, en front commun, un cahier de revendications où apparaissait, entre autres, l'exigence d'un moratoire pédagogique immédiat et proactif, suivi d'une consultation des enseignants. Celle-ci fut faite pour tout l'enseignement obligatoire et confirma la réalité des doléances du corps professoral. Dans cette foulée, après la réalisation des « Ateliers du progrès » par le parti socialiste allié à la gauche chrétienne 1 et après les élections communautaires en 2004 qui virent la victoire de ces forces politiques, la Ministre socialiste, Marie Arena, lança en 2005 le projet d'un Contrat stratégique pour l'éducation afin de répondre aux engagements pris. Je ne débattrai pas ici des aspects multiples de ce Contrat, mais essentiellement de son projet de modernisation de l'organisation du système scolaire en y créant une nouvelle instance de régulation intermédiaire, le « bassin scolaire », afin d'affaiblir son caractère inégalitaire et donc d'obliger les établissements à une concertation pour la gestion des flux d'élèves. Le projet de Contrat stratégique dont le cœur tenait dans une nouvelle gouvernance reprenant le triptyque, « régulation par le politique – responsabilisation des acteurs – évaluation externe », a donné lieu en réalité à un Contrat pour l'école, bien plus modeste, qui a abandonné de nombreuses propositions, précisément celle de la création de bassins scolaires, mais aussi celle de la fusion des enseignements technique et professionnel qualifiants.

En ce qui concerne le sens à donner au projet de Contrat stratégique (et à ses malheurs) dans le contexte où il a été formulé, j'ai suggéré 2 deux axes interprétatifs : pourquoi le recours à la démocratie participative et quelle transformation de la responsabilité politique ?

Premièrement, crise de légitimité du pouvoir politique aidant, le concept de démocratie participative a pris son essor dans de nombreux pays européens. Il est souvent relié à celui de société civile : il s'agit de faire entrer dans le débat public des acteurs (ici, émanant du monde associatif) qui ne font pas partie du monde politique institutionnel (partis, partenaires sociaux, etc.). Depuis quelque dix ans, on a vu se multiplier des initiatives allant dans ce sens 3 et le projet de Contrat stratégique a donc fait l'objet d'une consultation pour donner libre cours, à l'aide de forums et des moyens de l'e-démocratie, à la parole individuelle ou collective, provenant de tous les bords imaginables. Mais comme il en va habituellement dans ce genre d'opération, après élargissement du débat public à des acteurs non directement liés aux piliers, on en est revenu assez vite à la concertation entre institutionnels avertis.

Deuxièmement, face aux attaques de plus en plus nombreuses faites tant par les enseignants, que les parents ou les contribuables ordinaires, à l'encontre du fonctionnement du système scolaire, le pouvoir politique a fait un appel grandissant à l'expertise externe afin d'objectiver de manière scientifique les problèmes à rencontrer. Cette demande, parallèlement à la professionnalisation de la sphère politique (au détriment de la militance de base), a fait reposer la crédibilité des solutions proposées sur la validité des expertises mobilisées (y compris dans les cabinets ministériels). Le danger pour le responsable politique est que, si son charisme personnel est insuffisant, s'il n'a pas réellement intériorisé (maîtrisé) le travail de l'expertise et/ou si l'expertise est incertaine, il risque de ne pas pouvoir assumer ses effets d'annonce.

Pour en revenir au projet de Contrat stratégique, l'un des points les plus controversés a été celui de la création d'un nouveau mode de régulation : le bassin scolaire, présenté comme objet encore à définir par des experts universitaires, destiné essentiellement à assurer une meilleure (plus équitable) gestion des flux d'élèves et des économies d'échelle. Les experts concernés étaient invités à fixer les contours géo-administratifs du bassin et à formuler des recommandations quant au modèle de gouvernance à y déployer. Pour eux, il s'agissait d'identifier la limite des territoires au sein desquels les établissements sont interdépendants (indépendamment du caractère et du réseau) en fonction des flux scolaires, plus précisément des rapports entre lieu de résidence et lieu de scolarisation. Le principe de justification tenait dans l'appel à la responsabilité collective se manifestant dans des actions concertées en référence à des objectifs partiellement imposés par l'autorité centrale. Pensé en termes d'interréseaux, ce concept ne pouvait que rencontrer l'hostilité du réseau libre catholique exigeant le respect de l'autonomie des acteurs, mais aussi des pouvoirs organisateurs de l'officiel subventionné (provincial et communal). Liberté d'enseignement et libre choix de l'école donnent lieu à des stratégies clientélistes et consuméristes qui ne peuvent se concilier qu'à l'intérieur de la forme réseau.

En Communauté française, les problèmes que rencontre le système scolaire sont connus depuis longtemps par ceux qui en sont les acteurs. Leur formulation publique et leur médiatisation sont devenues une obligation incontournable depuis la publication des résultats des enquêtes Pisa. Divers remèdes possibles ont tout autant déjà été formulés mais ils s'avèrent politiquement impossibles à mettre en œuvre jusqu'à présent. Pourquoi donc ?

Pour une part, ils s'opposent à la volonté de maintien des intérêts des piliers qui continuent à s'imposer indépendamment d'une évolution du paysage politique. Depuis la fin des années soixante, celui-ci a connu des transformations par rapport aux vieux clivages traditionnels : le parti libéral est devenu parti de la liberté et du progrès (PRL), puis mouvement réformateur (MR) ; le parti socialiste a tenté en 1968 un appel au rassemblement des progressistes et s'est réclamé par la suite d'un recrutement pluraliste. La participation gouvernementale au fédéral des écologistes en 1999 a même pu faire penser à la possible déliquescence des piliers. Au delà de la laïcisation de la société belge et de l'engagement des partis vers une composition plus complexe qu'autrefois, les appareils de piliers tiennent bon dans la sphère scolaire, mais aussi dans l'ensemble des services publics. Les enjeux de pouvoir ne sont plus idéologiques (encore que…) mais économiques surtout, à savoir se tailler une part de quasi-marché la plus grande possible.

Pour une autre part, certaines solutions proposées vont à l'encontre de la tendance à reconnaître les droits du citoyen-usager que l'on constate un peu partout actuellement. Limiter les droits des parents à exercer leur libre choix demanderait non seulement une révision constitutionnelle, mais une volonté politique forte, anti-néolibérale, totalement inexistante aujourd'hui.

Lorsque l'on s'interroge sur les origines de l'injustice sociale pesant spécifiquement sur notre système scolaire, les réponses pleuvent. La question reste de savoir ce qui dans ces réponses fournit des solutions qui sont de l'ordre du possible. Aussi longtemps que le mode de régulation restera ce qu'il est, c'est-à-dire privilégiant la forme du réseau qui organise lui-même ses propres hiérarchies, aussi longtemps sera-t-il difficile de remédier à l'essentiel de cette injustice. Le pragmatisme consiste alors peut-être à se tourner vers de nouveaux moyens produit par des dispositifs d'évaluation externe, élaborés centralement par la Commission de Pilotage, permettant de contribuer à une certaine homogénéisation du tissu scolaire. L'enjeu en ce cas est de préserver les établissements scolaires d'une mise en compétition sauvage qui ne ferait qu'accentuer le caractère marchand d'un service pourtant public. Si les promoteurs des premières expériences d'évaluation externe jusqu'ici déjà tentées ont évité d'alimenter ce risque, la force de contrainte exercée par les injonctions des organisations internationales pourraient mettre en péril la pertinence politique de la pratique dans un contexte national comme le nôtre. Encore faut-il reconnaître que le monde la formation professionnelle est bien plus touché par la pression de ces injonctions que le monde scolaire où seuls de rares initiés les connaissent.

Ma conclusion est donc que, s'il existe des efforts pour inscrire le système scolaire francophone dans le triptyque « régulation par le politique – évaluation – responsabilisation des acteurs », la « dépendance du sentier » (poids de l'histoire) a fait jusqu'à présent ses preuves. Le contexte piliarisé résiste même si certains dispositifs ( décret « missions » de l'école, 1997, e.a.) obligent l'ensemble des réseaux à se mettre au service d'un projet d'acquis minimaux pour tous, ce qui suppose l'affaiblissement de leur autonomie. La « tyrannie des petites décisions » fait le reste en stimulant les effets de l'agrégation des actes individuels égoïstes. Par ailleurs, le gouvernement de la Communauté, pris en tenailles entre les limites budgétaires imposées par le fédéral et la force d'inertie de l'univers scolaire, n'a pas le

pouvoir d'imposer des changements profonds. Pour tenter d'emporter l'accord, il a mobilisé des experts et a recouru à la rhétorique participative. La délégation aux experts de la légitimation était risquée et l'effort proclamé de transparence allait donner l'occasion à un flot de ressentiments et de frustrations de se déverser. On peut faire l'hypothèse que, au départ, le projet de Contrat stratégique ne relevait pas d'une logique de contractualisation au sens propre du terme, mais plutôt d'une logique de gestion publique. Outil de management public, il devait servir à cautionner de nouvelles régulations en affirmant se baser sur l'avis des usagers concernés et de leurs multiples représentants. Une fois les forums terminés, on est repassé à la concertation traditionnelle, non sans que le politique n'en soit fragilisé. Voilà qui devrait faire réfléchir à l'impact de la participation sur l'exercice du pouvoir.

1 En 1996-1999, on avait déjà assisté aux Etats généraux de l'écologie politique participant du même projet délibératif à l'époque.

2 Lors du colloque du 6 mai dernier, que j'ai organisé à l'Institut de Sociologie, sur le thème « Education et formation : les enjeux politiques des injonctions internationales », dont les actes sont à paraître.

3 Assises de l'enseignement (1995), Propositions pour réformer l'enseignement (1996), Consultations des enseignants (2003-2004) pour le principal dans le champ scolaire.

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Numéro 21
Former des élites dans un monde incertain
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