Justice et inégalités de sexe en éducation
Appel à contribution pour cet atelier du colloque "Repenser la justice en éducation"
Coordination : Catherine Marry, Centre Maurice Halbwachs, IRESCO
Après des années de mise sous le boisseau, la question des inégalités sexuées d'éducation a fait l'enjeu de controverses animées, dans les années 1990, parmi les sociologues et psychosociologues de l'éducation. Des interprétations diverses sur la portée et les limites de la réussite scolaire des filles se sont affrontées et l'on semble être parvenu aujourd'hui à un consensus sur le constat et sur la pertinence relative des différentes explications. Les plus optimistes sur les bienfaits égalisateurs de l'école républicaine admettent que l'école a un rôle propre dans la production des inégalités. Les plus critiques sur le sexisme à l'école développent un point de vue positif sur la dynamique historique de l'égalité. En même temps, certaines évolutions (ou absence d'évolution) étonnent et restent énigmatiques, telles le maintien durable de la division sexuelle des savoirs et le grand écart persistant entre les avancées des filles à l'école et leur place toujours aussi minorée sur le marché du travail.
Il semble aujourd'hui utile de faire le point sur les acquis et les impasses des travaux de ces deux dernières décennies ; de mettre en avant des terrains et des pistes d'interprétation novateurs. Les sociologues peinent en particulier à penser ensemble les inégalités sexuées et toutes les autres formes d'inégalités –sociales, ethniques, résidentielles, etc. Ces inégalités sont-elles cumulatives ou observe-t-on des mécanismes de compensation ?
En dépit du caractère relationnel affirmé du concept de genre (le masculin et le féminin se définissent par leur rapport), les recherches tendent à se concentrer sur les filles, définies par rapport à des garçons, souvent invisibles tout en étant la référence universelle et désirable. Quels sont les apports des recherches sur le “masculin”, en France et ailleurs ?
Les historiennes ont mêlé leur voix au débat sur le thème des inégalités sexuées à l'école. Elles se sont employées à faire sortir de l'ombre les écoles et formations “de filles”, en particulier dans le domaine professionnel et technique ; à exhumer de l'oubli des figures de pionnières, dans les lycées, les universités, les écoles d'ingénieur, etc., mais aussi à saisir comment les valeurs “masculines”, parfois viriles, s'apprennent dans les écoles, dans les apprentissages scolaires mais aussi dans la sociabilité entre pairs, au sein et hors de l'enceinte scolaire. Ce colloque est l'occasion de poursuivre un dialogue interdisciplinaire fécond. Il peut aussi contribuer à faire avancer la réflexion épistémologique autour des questions suivantes : quels apports une lecture sexuée a apporté à chacune des disciplines s'intéressant à l'éducation ? L'angle du genre permet-il de renouveler la question de l'égalité ou celle de la justice ?
Le contexte de chômage d'insertion massif et récurrent depuis le début des années 1970 a conduit au développement de recherches sur l'insertion professionnelle. L'angle du genre est mieux pris en compte mais les analyses s'en tiennent souvent à la description, sans interprétation, de différences constatées dans les indicateurs (de chômage, de précarité, etc.) en fonction du diplôme, du niveau et de la spécialité de formation. Les travaux de type plus sociologique sur ces questions de relation éducation-travail, abordées sous l'angle du genre, sont précieux pour mieux percer l'énigme de la moindre valorisation professionnelle et salariale des formations suivies par les filles.
Une autre question qui mérite d'être posée est celle des impasses, au moins apparentes, des politiques d'égalité : en dépit en effet d'une multiplication de mesures, de rapports officiels, de déclarations publiques etc. on n'observe pas de rapprochement notable –recherché par ces politiques– des orientations des filles et des garçons. Ces impasses sont-elles liées à un manque de moyens ou à une mauvaise formulation des problèmes et des objectifs ? L'exemple de la Suède où la division sexuelle des savoirs est tout aussi prononcée qu'en France mais l'égalité (d'emploi, de salaires…) plus avancée, jette le doute sur la quête incessante de réorientation des filles vers les domaines masculins des sciences “dures” et des techniques industrielles.
Plus généralement les regards sur des pays étrangers sont sollicités dans ce colloque.
Enfin, une autre dimension, peu abordée à propos des inégalités de sexe et qui trouve sa place dans ce colloque, est celle des perceptions subjectives des inégalités et de l'injustice à l'école selon le sexe (de l'élève, de l'enseignant-e, etc.). Cette dimension subjective mériterait d'être approfondie aussi à propos du rapport supposé plus heureux des filles à l'école ou du vécu supposé malheureux des filles et des garçons, dans des situations où ils sont très minoritaires dans leur groupe de sexe.
Ces incitations ne sont pas exclusives, loin s'en faut, d'autres thématiques et questionnements permettent de bousculer les façons de penser le genre, le sexe et l'école.