Nathalie Mons
Maître de conférences, Université Pierre Mendès-France Grenoble II
LSE
nmons@wanadoo.fr

Résumé

Cette communication vise à apporter des éléments de réflexion sur la question des conditions de développement des élites scolaires dans l'enseignement obligatoire à travers une évaluation quantitative internationale. On s'interroge en particulier sur les politiques éducatives qui semblent les plus propices au développement des élites scolaires et sur de potentiels arbitrages entre le développement de l'« excellence scolaire » et la recherche d'une plus grande justice à l'école.

Les élites scolaires sont définies ici non pas en termes de niveaux scolaires atteints mais à travers un niveau de compétences maîtrisées : c'est la proportion des élèves qui ont atteint, dans chaque pays, le niveau de compétences le plus élevé de l'épreuve principale du test PISA 2000 qui sert ici de référence pour estimer l'importance numérique des élites scolaires à la fin de l'enseignement obligatoire.

Dans un premier temps, la communication après avoir brossé le cadre d'analyse théorique dans lequel se situe cette réflexion (Turner, 1960, « modèle de compétition » vs « modèle de parrainage »…), montrera comment historiquement le débat scientifique sur le lien entre la production des élites scolaires et les structures éducatives a été également repris à son compte par le politique, légitimant le développement futur de certaines politiques éducatives (Lelièvre, 2002).

Ces modèles théoriques, ces positions politiques sont-ils validés par l'analyse empirique ? Dans la lignée des travaux d'Husen (1979), nous présenterons dans la seconde partie de cette communication quelques éléments de réflexion tirés d'une étude empirique originale fondée sur une comparaison internationale. Outre la mobilisation des données de l'enquête PISA 2000 qui permet d'évaluer l'importance numérique des élites scolaires à 15 ans dans les pays de l'OCDE, cette recherche a donné lieu à la constitution d'une base de données originale visant à décrire les politiques éducatives qui peuvent être en lien avec la production de ces élites.

Cette recherche s'appuie, entre autres, sur le constat suivant : malgré des niveaux socio-économiques relativement proches, les pays de l'OCDE sont caractérisés par des élites scolaires de tailles très variables. Ces disparités importantes conduisent à s'interroger sur les facteurs sociétaux et les politiques éducatives qui peuvent contribuer à expliquer ce phénomène.

Ainsi, le développement des élites scolaires est apparu incontestablement lié à la richesse économique des pays. Cependant, passé un seuil de développement, il semble que ce soit plus le niveau d'instruction de la population adulte que les contraintes démographiques ou la structure sociale qui est en lien avec la taille des élites scolaires.

Au-delà des facteurs sociétaux, l'analyse a montré que les politiques éducatives ne sont également pas neutres dans ce domaine. Cependant, si de nombreux pays dans l'OCDE ont développé des politiques élitistes dans l'enseignement obligatoire, il semble que toutes les stratégies dans ce domaine ne soient pas payantes. Ainsi, les politiques de libre choix de l'école dans le réseau public, la création d'une nouvelle concurrence grâce au privé subventionné et l'organisation de filières d'enseignement hiérarchisées ne sont pas apparues comme des contextes positifs, malgré la rhétorique de compétition et d'efficacité qui sous-tend ces politiques. A l'opposé, la constitution de classes de niveau souples et non rigides, l'autonomie scolaire et non la décentralisation politique, les cours d'approfondissements pour les élèves « doués » uniquement s'ils se conjuguent avec des actions de remédiation et de tutorat destinées à tous les élèves semblent constituer des cadres favorables au développement des élites scolaires.

De façon générale, comme le montre la relation négative entre la proportion des élèves performants et celle des élèves en difficulté, les politiques éducatives visant à former une élite scolaire large plutôt qu'à sélectionner un nombre d'élus restreint semblent être les plus efficaces. Autrement dit, moins il y a d'échec et d'inégalités scolaires, plus il y a d'élites.

Si toutes les politiques élitistes ne conduisent pas à des résultats probants, l'analyse a également montré que l'absence de politiques dans ce domaine, qui se traduit le plus souvent par un traitement pédagogique homogène, le tabou de la différenciation et des marges de manœuvre restreintes laissées aux acteurs locaux, constitue un handicap pour le développement des élites dans l'enseignement obligatoire.

Seules les comparaisons internationales et une approche des élites scolaires en termes de compétence et non à travers les niveaux scolaires atteints pouvaient permettre cette réflexion sur la fabrication des élites scolaires dans l'enseignement obligatoire.