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Relations de travail et justice sociale : usages et transformations du maillon contractuel

Par adminDernière modification 20/06/2006 00:02

Communication de Michel Lallement pour la séance plénière de mardi 16 mai "Croisement des regards sociologiques et des regards économiques : une étude du cas français"


Michel Lallement *

Dans les travaux des économistes, la question de la justice a été traditionnellement abordée à partir d'une interrogation sur les critères de la réparation du revenu avec, subséquemment, un questionnement récurrent sur les modes d'articulation optimaux entre équité et efficacité. Les dernières décennies ont été riches de propositions afin de repenser les anciens schémas d'inspiration paretienne fondateurs de la micro-économie néo-classique. De multiples travaux (ceux de J. Rawls, R. Nozick, R. Dworkin, D. Gauthier, M. Walzer, J. Elster…) sont venus bousculer les fondements philosophiques et politiques des vieilles théories de la justice. Dans le même temps, grâce notamment aux travaux d'A. Honneth, la reconnaissance s'est imposée en philosophie et en sociologie comme une clef d'interprétation majeure pour aider à penser les questions d'identité, de domination, de mépris, d'action collective… Ainsi que l'indique N. Fraser, la tentation est grande de maintenir séparées ces deux perspectives et d'opposer la politique de la redistribution et celle de la reconnaissance. Nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, sont tentés de réifier une telle dichotomie. Tout l'intérêt de la théorie de la justice sociale de N. Fraser réside dans le refus de se laisser tenter par une telle option. Il est plus précisément encore de jeter les bases d'un dualisme perspectiviste qui intègre dans un même diagramme analytique redistribution et reconnaissance sans confondre les deux processus ni forcer à outrance leur dissociation.

La présente contribution s'inscrit explicitement sous les auspices d'une telle théorie de la justice. Dans les travaux de N. Frazer, la parité de la participation constitue le pivot normatif du raisonnement (chaque membre adulte de la société doit pouvoir interagir en tant que pair avec les autres). Deux conditions viennent soutenir ce principe élémentaire : une condition objective (la répartition des ressources matérielles doit permettre aux participants la possibilité de s'exprimer en toute indépendance) et une condition intersubjective (un égal respect pour tous les participants assorti d'une égalité des chances dans la recherche de l'estime sociale). Cette matrice dont, répétons-le, l'intérêt majeur est de résoudre l'antinomie reconnaissance/redistribution présente cet autre avantage d'éviter le travers du psychologisme vers lequel précipitent certains théories de la reconnaissance. Mais elle n'est opérationnelle qu'à la condition d'être éprouvée au feu de l'empirie et de gagner par ailleurs en épaisseur historique. Pour ce faire, deux questions méritent d'être posées : quels sont les mécanismes et les dispositifs qui assurent l'interaction entre politiques de la reconnaissance et politique de la redistribution ? Comment ces derniers évoluent-ils à mesure que s'érodent les vieilles fondations de la société industrielle ?

Afin d'esquisser quelques éléments de réponse à cette double interrogation, un objet est soumis ici à la discussion : le contrat. Mon hypothèse est que ce dernier occupe une place de choix dans le maillage complexe qui lie reconnaissance et redistribution. Je vais tester cette hypothèse à propos des relations de travail, espace dans lequel la question de la justice sociale – entendue au sens précis de N. Fraser – a toujours été centrale. Dans le cas français, l'invention du contrat de travail et de la convention collective est une option historique qui a permis de prendre simultanément à bras le corps les enjeux de reconnaissance et de répartition des richesses. J'essaie plus encore de mettre en évidence quelques ruptures majeures dans la manière dont les dispositifs contractuels informent les principes de justice sociale. Je vais commencer par m'appuyer à cette fin sur les travaux présentés au colloque de Darras. Au milieu des années 1960, celui-ci rassemble économistes et sociologues et il fournit une vue synthétique sur la manière dont s'organise le partage des bénéfices vingt ans après la seconde guerre mondiale. Une telle entrée en matière peut surprendre. Dans l'ouvrage Darras (1966), l'absence ou presque de références au système de relations professionnelles et au rôle de ce dernier dans les processus de répartition des richesses ne manque pas d'intriguer. Ce silence qui, à la réflexion, n'est guère surprenant invite – ce sera là le second temps de cette contribution – à revenir sur les fondements socio-historiques des contrats de travail et des conventions collectives et sur l'efficace de ce dispositif du double point de vue de la reconnaissance et de la redistribution. La troisième partie ausculte les mutations contemporaines et dessine les linéaments du nouvel espace contractuel dans lequel se moulent les relations de travail françaises. La thèse soutenue est que deux processus majeurs (l'hybridation, la procéduralisation) sont au cœur d'une telle configuration et qu'avec eux de nouveaux principes de justice sociale prennent la place de ceux qui prévalaient au temps de Darras.

* Lise-CNRS, Cnam (Paris)

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