Joëlle Perroton
Maître de conférences en sociologie
Université Victor Segalen Bordeaux 2 - LAPSAC

Georges Felouzis
Professeur des universités en sociologie
Université Victor Segalen Bordeaux 2 - LAPSAC

1

La question communautaire émerge aujourd'hui comme un problème social et politique à part entière. Pourtant la République française ne reconnaît dans ses principes actuels que des citoyens « libres et égaux » en dehors de toute considération d'origine culturelle, de religion ou d'appartenance communautaire. Cela n'a pas empêché l'émergence d'une ethnicisation progressive des rapports sociaux qui procède d'un usage des catégories ethniques pour penser la vie collective et la société. Dans ce cadre, bon nombre de problèmes liés au « vivre ensemble » dans le travail, la cohabitation urbaine ou l'école, sont pensés par les individus à travers des catégories ethniques plus que sociales ou économiques. Ce contraste entre deux visions contradictoires du monde et des identités individuelles est particulièrement fort dans le système scolaire.

Notre modèle « républicain » qui postule une école « indifférente aux différences » est-il encore capable de faire face à la manière dont les fractures sociale, économique et ethnique se surajoutent en France pour créer de véritables ghettos urbains et scolaires ? Comment penser la question de la justice dans une école qui postule une égalité des chances mais qui s'organise autour de la ségrégation qui durcit les identités ethniques et les inégalités ?

Les résultats que nous présenterons dans notre communication sont issus d'une recherche sur la ségrégation ethnique dans les collèges de l'Académie de Bordeaux. La répartition des 144 000 élèves de l'Académie inscrits en 2000 dans l'un des 333 collèges publics ou privés a été étudiée en fonction de leur origine ethnique, de leur milieu social et de leur retard scolaire. Par ailleurs, une enquête par entretiens a été menée auprès des élèves, des enseignants et des familles dans les collèges « ghettos », ainsi qu'une analyse de la mise en œuvre par l'Inspection académique des politiques de gestion de la carte scolaire.

Trois questions seront abordées dans cette communication. Celle, d'abord, de la ségrégation ethnique au collège. En quoi peut-on parler de ségrégation, à quel degré et en quel sens ? Celle, ensuite, des conséquences de cette ségrégation, en termes scolaires et en termes de construction identitaire pour les élèves. Celle, enfin, de ses causes urbaines et proprement scolaires.

Il s'agira de mettre en évidence les nouvelles formes d'inégalités dans notre système scolaire dans une démarche originale qui tente d'établir des faits chiffrés sur un problème encore largement méconnu et sous estimé, tout en gardant le lien avec l'action locale et l'expérience des acteurs. Ainsi la mesure des écarts entre élèves d'origine différente se combine avec l'analyse notamment du sentiment d'injustice chez les élèves comme chez les parents.

D'autre part, ces résultats nous conduisent également à repenser la place des politiques éducatives dans ces questions de ségrégation scolaire. On peut en effet difficilement croire aujourd'hui que la poursuite de l'intérêt de chacun produit au bout du compte « un équilibre général » dans le domaine scolaire. On assiste plutôt à un déséquilibre global préjudiciable pour la société dans son ensemble qui « investit » dans la formation d'individus que leurs conditions d'apprentissage pénalisent et vouent à l'échec. Or les politiques scolaires semblent impuissantes à réguler ces phénomènes. Nous essaierons donc au travers de notre exposé de proposer une réflexion plus générale sur ces politiques scolaires et la manière de concevoir de nouvelles modalités de vivre ensemble et de justice dans l'école.

1 Cette communication se base sur l'ouvrage de Georges Felouzis, Joëlle Perroton et Françoise Liot, L'apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges , Paris, les éditions du Seuil, 2005.