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L’interrogation des réformes éducatives : La Contribution des Histoires de Vie en Education

Par adminDernière modification 19/06/2006 23:40

Communication d'Ivor Goodson pour la séance de mercredi 17 mai "Le travail de la preuve face aux conceptions du juste"


Les changements organisationnels des années 1980 jusqu'au début du 21 ème siècle ont surtout concerné la restructuration ou le remplacement de grandes organisations parfois peu réformables centrées sur l'offre ( supply side ) par des organisations marchandes plus flexibles centrées sur la demande. Nous avons traversé une période de restructuration rapide marquée par une réorganisation mondiale et de grandes évolutions technologiques. Néanmoins, beaucoup de réformes poursuivies pour les raisons les plus louables ont, sans surprise, abouti à certains résultats imprévisibles. Les changements révolutionnaires de l'organisation présentent toujours quelques inconvénients. Ce fut le cas durant la première révolution industrielle et il en va de même au cours de cette période de transformation technologique au niveau international. Les effets pervers commencent à se faire sentir au moment où la première vague de transformation marque un ralentissement. Que ces effets secondaires servent à réfracter, inverser ou interrompre ces changements de fond dépendra dans une certaine mesure de notre capacité à en reconnaître les caractères et les causes. Dans cet ouvrage, je montre qu'ignorer les conséquences inattendues du changement risque bel et bien de menacer la dynamique et la réussite des efforts entrepris en termes de restructuration et de réforme.

De nombreuses réformes partagent un certain nombre de caractéristiques : elles cherchent à éclairer les perspectives et les objectifs associés à l' accountability et aux standards (ensemble des mesures d'évaluation associées à la mesure de la performance des élèves et des enseignants). Sur le modèle des « 3R » ( Reading  : lecture, Writing  : écriture, Arithmetics  : arithmétique), ces réformes sont parfois désignées sous le nom des « 3T » ( Targets  : cibles, Tests  : tests, Tables  : palmarès). Dans les services publics, le micro-management de ces réformes par les standards atteint un niveau de détail et de définition complexe et parfois infinitésimal. Au cœur du nouvel ordre mondial marchand, il est paradoxal d'observer que le secteur privé est de moins en moins réglementé quand le secteur public est micro-géré à un niveau très poussé de détails et de contraintes. D'un côté, marché et déréglementation pour le secteur privé et de l'autre micro-management et réglementation renforcée pour le secteur public. Dans ce livre, nous explorons les différentes significations du caractère paradoxal de la réforme qui touche le secteur public, notamment dans les systèmes d'éducation et de santé. Beaucoup de réformes qui ont favorisé la productivité et la rentabilité dans le secteur marchand se sont « propagées » au secteur public. Cependant l'ajout des caractéristiques de micro-management et de régulation empruntées au secteur privé engendre des effets profondément contradictoires.

Les réformes dans les secteurs privé et public ont en commun le fait que de nouvelles initiatives visent à remplacer les « régimes de vérité » ou les « répertoires des motifs » ou encore les « déclarations de mission » des organisations à réformer. En ce sens, la mutation des organisations implique le remplacement voire la destruction d'une « mémoire organisationnelle » par une autre. Dans le privé, il semble aisé de s'accommoder de la destruction de la mémoire mais pour le maintien de l'équilibre délicat des services sociaux, ce processus s'avère, nous le verrons, souvent plus périlleux. Parfois des services se détériorent et des vies ou les hasards de la vie peuvent se perdre dans cette agitation.

La même juxtaposition est valable en ce qui concerne le « sacerdoce » personnel que les salariés consacrent à leur emploi. Dans l'entreprise, les nouveaux régimes flexibles, notamment en informatique et dans les cyber-entreprises, donnent carte blanche aux employés pour mener à bien leurs « projets » personnels. Cela est perçu par les entreprises comme un renforcement de leur mission d'innovation et de réponse aux attentes de la clientèle. Dans les régimes micro-managériaux et réglementés du secteur public, c'est l'inverse qui se produit : les missions des salariés et les projets sont progressivement remplacés par des mandats qui définissent les standards et le comportement. Ainsi, toute harmonisation entre les missions organisationnelles et les motifs personnels devient au mieux secondaire et fortuite et au pire contradictoire et conflictuelle. Parfois, cette nouvelle donne implique que les personnels au sein des services publics restructurés commencent à se désinvestir de leur travail et à agir comme des techniciens exécutant a minima les mandats et les missions des autres : « c'est qu'un boulot. Je me pointe et je fais ce qu'on me dit de faire ». On est bien loin de l'implication personnelle, du professionnalisme bienveillant qui caractérisait autrefois l'élite du service public.

L'évocation d'un « professionnalisme bienveillant » aujourd'hui révolu ne manquera pas de rappeler quelques souvenirs à certains (notez que je fais référence uniquement à « l'élite », le meilleur du service public). Cependant, ce clin d'œil réveille en nous « l'âge d'or » d'une harmonie passée et sans histoire du secteur public. Cette situation n'a, bien sûr, jamais existé – « la nostalgie n'est plus ce qu'elle était ». En effet, certains services publics se sont forgés une culture qui favorisait les prestataires de services plutôt que les clients et, parfois, l'action des syndicats exacerbait ce problème. La question de savoir « à qui doit bénéficier » la gestion du secteur public est récurrente. Des groupes publics et professionnels peuvent détourner des ressources à leur avantage, tout comme d'autres groupes. Qu'ils s'y soient employés à un niveau comparable à l'entreprise Enron ou à Robert Maxwell mérite néanmoins que l'on s'y arrête. Les mécanismes de contrôle des abus au sein du service public ont toujours été puissants. Les abus et la colonisation professionnelle des ressources ont toujours été efficacement encadrés et minutieusement examinés. Des problèmes sont néanmoins survenus : les années 70 en Grande-Bretagne et leur épilogue - l'hiver du mécontentement ( winter of discontent ) qui a marqué l'avènement du gouvernement Thatcher - en sont l'illustration.

Exhumer les conflits des années 70, déterminer à qui incombe la responsabilité et clarifier les causes sont du ressort des historiens. Par rapport aux arguments de ce livre, ils servent à établir qu'il y eut certains dysfonctionnements dans les services publics avant les réformes et restructurations récentes. Il existait des poches d'égoïsme professionnel, un manque voire une absence de résultats et des pratiques institutionnalisées qui allaient à l'encontre de l'intérêt des élèves, des parents et des clients. Il ne s'agit donc pas d'opérer « un retour à un âge d'or ».

Ceci étant dit, je considère que l'une des caractéristiques majeures du service public d'après guerre résidait dans une éthique durable de « dévouement professionnel » - le sens de la vocation. Ce sens de la mission a duré et a souvent dépassé les pratiques et les intérêts particuliers évoqués ci-dessus. Le fait même que l'enseignement et les soins aux personnes aient été d'un niveau si élevé et ce, malgré des salaires faibles et un manque de moyens en dit long sur le sens de la vocation et du devoir de nombreux fonctionnaires à l'époque. A mon avis, nous sous-estimons à tort le sens du sacrifice et de la mission qui habitait tant d'entre eux.

L'essentiel est de comprendre que les professions du service public ne sont pas des entités monolithiques. Une profession est une « coalition d'intérêts » qui fonctionne ensemble sous un nom commun à une époque donnée. De là chaque profession possède en son sein un certain nombre d'éléments qui ne pensent qu'à leurs intérêts, d'autres qui sont de simples rouages (dont l'éthique professionnelle est parfois minimaliste) tandis que d'autres encore maintiennent un haut niveau de standards dans leurs pratiques et font preuve de dévouement dans l'exercice de leur devoir et de leur mission. En un mot, la difficulté est de penser des réformes et des initiatives de restructuration qui permettent de contenir, contraindre et réorienter les premiers tout en récompensant et gratifiant les seconds. Les recherches de cet article montrent que les réformes ont porté sur les premiers mais ce faisant ont aussi sapé le sens de la mission et du devoir qui a longtemps été la marque de fabrique des meilleurs éléments du service public. En bref, les réformes « jettent trop souvent le bébé avec l'eau du bain » et, une fois jeté, le bébé est particulièrement difficile à réanimer. Il est nécessaire en Occident de marquer une pause dans le rythme effréné des réformes afin de réfléchir sur les dangers profonds qui menacent lorsque de plus en plus de personnels dévoués et consciencieux des services publics se mettent à exprimer leur aliénation et leur désespoir.

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