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Transmission sexuée , héritages sexués : le cas du capital culturel

Par adminDernière modification 19/06/2006 23:34

Communication de Gaële Henri-Panebière pour l'atelier 8 "Justice et inégalités de sexe en éducation"

Gaële Henri-Panabière
Groupe de recherche sur la socialisation (GRS),
Université Lumière Lyon 2
gaele.henri@infonie.fr

La meilleure réussite scolaire des filles fait partie des constats statistiques que nombre de sociologues ont tâché d'interpréter. Cette différence a pu être attribuée à certaines propriétés « féminines » comme la « docilité » (Baudelot, Establet, 1992), une plus grande « mobilisation » scolaire (Terrail, 1992) ou des « habiletés relationnelles particulières » (Charlot, Bautier, Rochex, 1992).Cette supériorité féminine ne se retrouve pas dans le devenir professionnel dans la mesure où l'orientation des filles se fait toujours tendanciellement dans des filières (scolaires, professionnelles, universitaires) socialement dominées (Mosconi, 1983, Duru-Bellat, 1990).

Dans notre recherche, cette différence est interrogée sous l'angle de la transmission du capital culturel au sein de la famille. A partir d'une enquête par questionnaire conduite dans quatre collèges de l'agglomération lyonnaise (677 familles constituent notre population d'ensemble) et par entretiens (menés auprès de 20 collégiens, de leurs parents et de leurs enseignants), nous combinons approche quantitative et qualitative. Au centre de nos interrogations se trouvent des situations scolaires atypiques de collégiens en difficultés scolaires dont les parents sont fortement diplômés. Dans ce cadre nous interrogeons les conditions de transmission ou de non transmission du capital culturel, et notamment les caractéristiques parentales et enfantines qui facilitent ou entravent ce processus. Le sexe de celui qui hérite et de celui qui transmet fait partie de ces caractéristiques.

Comme dans d'autres enquêtes, les filles de notre population connaissent généralement de meilleures situations et des parcours scolaires moins heurtés que les garçons (elles sont moins souvent redoublantes, elles ont généralement de meilleures moyennes en français et des moyennes équivalentes à celles des garçons en mathématiques 1). Par ailleurs nous avons constaté une meilleure transmission du capital culturel de la mère par rapport à celui du père : le diplôme maternel (comme état « certifié » du capital culturel) est plus fortement lié statistiquement à la réussite scolaire de l'enfant que celui du père; les pratiques de lecture de la mère (comme élément du capital culturel à l'état « incorporé » 2) sont corrélées avec les pratiques enfantines dans ce domaine de manière plus nette que celles du père. La transmission culturelle exigeant du temps (« et du temps investi personnellement », Bourdieu, 1979), ces constats entrent en résonance avec les études mesurant la part effective plus importante des femmes dans les tâches domestiques et éducatives (Gissot, Héran, Manon, 1994). En quoi cette meilleure transmission du capital maternel peut être liée avec la meilleure réussite des filles ?

On peut interroger ces différences et leur signification dans le cadre d'une étude de la transmission culturelle sous deux angles différents : celui de la sexuation de cet héritage (les propriétés transmises et « faisant capital » seraient socialement construites comme féminines) ; celui de la sexuation de la transmission elle-même (cette transmission serait facilitée par la commune identité sexuelle de celui ou celle qui transmet et de celui ou celle qui hérite). Ce sont ces deux pistes d'analyse que nous proposons de présenter dans notre communication en faisant varier les échelles d'observation, cernant des tendances statistiques et saisissant dans des contextes singuliers comment elles se traduisent.

Nous pouvons dans un premier temps préciser dans quelle mesure le « contenu » de cette transmission peut être sexué. Certaines « qualités » scolaires comme l'ascèse et l'autocontrainte sont plus souvent attribuées aux collégiennes qu'aux collégiens que ce soit dans les entretiens avec les enseignants ou les parents ou que ce soit dans les modalités de réponse du questionnaire. Nos collégiennes sont en effet plus souvent considérées comme « travailleuses » et « disciplinées » ou « autonomes » que leurs homologues masculins. Elles sont par ailleurs moins souvent identifiées comme « intelligentes » ou « douées » que ces derniers. Dans les faits (tels que notre questionnaire les mesure, du moins), nos collégiennes sont aussi plus nombreuses à se mettre d'elles-mêmes à leurs devoirs, y consacrent plus de temps, le font plus souvent à l'avance. Ces « qualités » scolaires renvoient donc non seulement à des différences de perception mise en œuvre par les adultes interrogés, mais aussi à des différences de pratiques.

Ces différences de comportement et de performances scolaires peuvent être mises en perspective par l'étude de ce que font filles et garçons en dehors de l'école. A cet égard, les habitudes de sociabilités sont intéressantes à étudier. Statistiquement, on observe que les garçons jouent plus souvent que les filles à l'extérieur de leur domicile, surtout avec d'autres enfants du voisinage. Les filles, quant à elles, se démarquent par leurs pratiques de lecture (comme les mères se démarquent des pères dans ce domaine), et notamment en ce qui concerne l'habitude de discuter de ses lectures dans le cadre familial ou encore de se rendre avec des amies à la bibliothèque. D'une manière générale, les collégiennes semblent faire preuve, à la maison d'une tendance plus marquée à l'autocontrainte (plus ponctuelles dans leur retour à la maison, allant plus souvent que les collégiens se coucher d'elles-mêmes le soir…). Ce qui ressort des entretiens menés c'est aussi une certaine spécification sexuelle des relations entre adultes et enfants. Si les filles perçoivent généralement leurs relations avec les adultes (du collège et de la maison) comme une forme d' « aide », les garçons décrivent plutôt ces relations sous le régime de l' « interdit » et de l' « obligation ». Ce qui se joue ici relève d'un rapport relativement différencié à l'autorité et plus généralement à la contrainte. Les formes que prennent les relations au sein de la famille et la manière dont les contraintes domestiques y sont généralement imposées peuvent éclairer ces différences souvent vécues comme « naturelles » (ce qui renforce leur inégale appropriation) alors qu'elles sont produites par des « socialisations différenciées » (Lahire, 2001).

Dans un second temps, il s'agit d'interroger ce qui se joue dans la transmission elle-même en terme d'identification sexuelle. Pour ce faire, statistiquement, la comparaison de l'intensité du lien de dépendance 3 entre transmission en ligne croisée (transmission entre émetteurs et destinataires de sexes différents) et transmission en ligne parallèle 4 (entre émetteurs et destinataires de même sexe) apporte un éclairage. On constate en effet que la transmission des pratiques de lecture (c'est à dire le lien entre pratiques parentales et enfantines) est plus intense entre mères et filles qu'entre mères et fils ou même qu'entre pères et fils. Du point de vue du capital scolaire, la scolarité des garçons est plus sensible que celle des filles au capital parental pris dans sa globalité (le lien entre le volume global du capital parental et la situation scolaire est plus intense ce qui se traduit surtout par une tendance plus nette des garçons à faire partie des élèves en difficultés lorsque ce capital est faible). C'est également le cas quand on s'intéresse uniquement au capital paternel. Cela change quand il s'agit du capital maternel qui est statistiquement plus intensément lié à la scolarité des filles qu'à celle des garçons.

On peut poursuivre cette piste dans l'étude de contextes singuliers. Dans plusieurs familles, nous observons une importante hétérogénéité scolaire du couple parental (l'un des parents est titulaire d'un CAP ou d'un BEP, l'autre à fait des études supérieures). Cette hétérogénéité peut se traduire par la coexistence dans la sphère domestique de principes socialisateurs différents voire contradictoires incarnés dans des adultes de sexe opposé. Il est alors nécessaire pour comprendre les conditions dans lesquelles les dispositions enfantines vont se constituer, de saisir les rapports de force qui traversent ces configurations. Dans certains cas c'est l'identification de l'enfant (au sens d'un processus d'attribution et d'appropriation de dispositions) à l'adulte du même sexe qui va arbitrer ce rapport de force.

La plupart des constats statistiques présentés ici recoupent ceux d'études citées en références (notamment celles de Bianca Zazzo et de Jean-Pierre Terrail) mais la manière de les interroger (sous l'angle de la transmission culturelle) et d'en prolonger l'analyse dans des contextes familiaux singuliers peut leur donner une portée heuristique supplémentaire.


Références bibliographiques

BAUDELOT C., ESTABLET R. (1992) Allez les filles ! Paris, Seuil.

BOURDIEU P. (1979) « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, n°30 p.3-6.

CHARLOT B., BAUTIER E., ROCHEX J-Y (1992) École et savoir dans les banlieues... et ailleurs, Paris, Colin.

DURU-BELLAT M. (1990) L'école des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Paris, L'Harmattan.

GISSOT C., HERAN F., MANON N.(1994) INSEE Résultats : Les efforts éducatifs des familles, série Consommation, modes de vie, n° 62-63.

LAHIRE B.(2001) « Héritages sexués : incorporation des habitudes et de croyances », in La dialectique des rapports hommes-femmes, (ss la dir. de T. Blöss), Paris, PUF p. 9-25.

MOSCONI N. (1983) «Des rapports entre division sexuelle du travail et inégalité des chances entre sexes à l'école », Revue française de pédagogie, n° 62. p. 41-50.

TERRAIL J-P (1992) «Destins scolaires de sexes : une perspective historique et quelques arguments », Population, p. 645-676.

ZARCA B. (1993) « L'héritage de l'indépendance professionnelle selon les lignées, le sexe et le rang dans la fratrie », Population, p. 275-306.

ZAZZO B. (1982) Les 10-13 ans. Garçons et filles en CM2 et en sixième, Paris, PUF.

1 A la question concernant les éventuelles difficultés des enfants dans une matière en particulier, le français est nettement plus cité par les parents pour les garçons que pour les filles pour lesquelles ce sont les mathématiques qui sont plus fréquemment citées malgré le fait que cette matière ne semblent objectivement pas plus leur poser problème qu'à leurs homologues masculins.

2 En référence à deux des « trois états du capital culturel » décrit par Pierre Bourdieu (1979).

3 L'intensité du lien de dépendance est mesurée à l'aide du coefficient de contingence de Kramer.

4 Cette manière de procéder s'inspire des travaux de Bernard Zarca (1993)

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