Égalité des chances et discrimination positive : les « boîtes grises » de la justice sociale
Communication de Frédéric Gonthier pour l'atelier 5 "Diversification, gestion sociale des inégalités et lutte contre l'exclusion"
Frédéric GONTHIER
Université du Maine – IUT du Mans
frederic.gonthier@univ-lemans.fr
La discrimination positive tend à être aujourd'hui présentée comme un modèle de justice sociale alternatif au modèle de l'égalité des chances. Elle permettrait en effet de rendre droit aux aspirations sociales liées à la singularité et à l'authenticité des individus ou des groupes sociaux. Elle indiquerait ainsi une priorité de la thématique de la reconnaissance sur la thématique de la redistribution.
Il semble donc essentiel de marquer les critères sous-jacents à ces deux modèles. Tout d'abord, la discrimination positive renvoie l'analyse sociologique vers des critères catégoriels (les bénéficiaires des traitements dérogatoires et préférentiels sont définis sur la base de critères ethniques, sexuels, religieux ...) qui sont incompatibles, d'une part avec le caractère fortement consensuel des « inégalités justes » (les inégalités sociales sont considérées comme justes lorsqu'elles sont issues des seules différences de mérite entre les individus), et d'autre part avec les prémisses universalistes inhérentes au modèle de l'égalité des chances (ce modèle repose sur des critères situationnels : il prend en compte des situations sociales indépendamment de la qualité des individus qui se trouvent dans ces situations).
Ensuite, la discrimination positive implique une essentialisation de l'identité des individus ou des groupes qui en bénéficient. Cette essentialisation est rendue problématique par la stigmatisation sociale qu'elle est susceptible d'entraîner, mais surtout par la rupture qu'elle engage avec les référents politiques qui, selon le modèle de l'égalité des chances, définissent la possibilité d'un socle symbolique partagé (la citoyenneté) et d'un horizon moral intersubjectivement négocié (la réflexion sur le bien commun).
On pourra finalement se demander si l'apparente inexorabilité de la discrimination positive et l'argumentaire relâché qui l'accompagne (de type « c'est mieux que si c'était pire ») ne dissimulent pas un double abandon : l'abandon libéral de la société à elle-même (le désengagement de l'État est masqué ici par l'appel à une individualisation de la responsabilité morale, qui trouve sa contrepartie libidinale dans l'extension d'un pathos victimaire) ; l'abandon spéculatif à une pensée « unidimensionnelle » qui, mimant le pluralisme démocratique, réduit en fait l'identité à l'individualité et l'altérité à la diversité.