Et les femmes dans les manuels scolaires d'histoire ? Inégalités et conséquences
Communication d'Elisabetta Pagnossin pour l'atelier 8 "Justice et inégalités de sexe en éducation"
Elisabetta Pagnossin
Institut de recherche et de documentation pédagogique
Neuchâtel
elisabetta.pagnossin@irdp.ch
Cette contribution se veut un apport complémentaire au débat déjà nourri sur les "absences" et les "présences bien particulières et caractérisées" des figures féminines dans les manuels scolaires, en particulier d'histoire. Quel rôle ("réel", stéréotypé, oublié, …) les femmes ont-elles joué ou bien plutôt on dit qu'elles ont joué? Mais au-delà de la description et de l'évocation des figures des femmes, protagonistes et non, de l'histoire ainsi enseignée, quelle est l'image de la femme et des femmes, individu et catégorie sexuée, qui est ainsi véhiculée aux écolières et aux écoliers ?
Hommes et femmes ne sont pas représentés de la même manière dans les manuels scolaires: la littérature le confirme. Quelles peuvent être les conséquences aux niveaux identitaire et social engendrées pour les élèves, filles et garçons? Quelles conceptions du rôle de la femme, des femmes, peuvent-elles être retenues par les élèves? Apprentissage du rôle passé, vécu du présent, projection dans le futur: y a-t-il des changements ?
Le cas suisse: 26 cantons, 26 systèmes éducatifs, où, en plus, l'enseignement de l'histoire pendant la période de l'école obligatoire est fort disparate en nombre d'heures et de statut. De même l'emploi des manuels scolaires est bien divers en classe. Néanmoins, prenons un exemple: 5 volumes d'Histoire générale (une collection dirigée par Claude Bourgois et Dominique Rouyet, Éd. LEP, Lausanne, 1999). Ces manuels sont utilisés pour des élèves de 10 à 15 ans et couvrent l'ensemble de l'enseignement d'histoire pendant les dernières années de l'école obligatoire.
Où sont donc les femmes dans ces volumes d'histoire générale de plus de 1000 pages? Lesquelles, dans quelles circonstances, pour quel rôle sont-elles citées dans ces textes? Et surtout comment sont-elles présentées dans les images? En effet, "Étrange finalité que celle de ces illustrations destinées à séduire mais aussi à créer du savoir par d'autres voies que celles, toujours difficiles d'accès, de la lecture. L'image parle vite, elle dit d'un coup ce qu'elle a à dire, le texte demande une approche plus prudente, plus mesurée, plus laborieuse. Il n'est pas surprenant que l'élève cherche d'abord les illustrations lorsqu'il ouvre son manuel scolaire pour la première fois ce qui n'empêche pas que l'on examine ces images pour comprendre comment le sens circule entre les textes et les images" ("Médianalyse. L'illustration dans les manuels scolaires", Mscope, mai 2004: 7). Ceci est d'autant plus important que, en anticipant les résultats, la présence des femmes est plus nombreuse dans les images que dans le texte.
Nous avons adopté comme canevas initial pour notre travail la typologie présentée par Philippe Mang en 1995. ("Les manuels d'histoire ont-ils un genre?", in (de) Manassein, M. (Éd.). De l'égalité des sexes. MEN-CNDP, pp.279-292) reprise et commentée par exemple, dix ans après par Maria Repoussi ("A la recherche des femmes dans l'histoire enseignée. Rapports de genre et construction de la différence sexuée". Les cartables de Clio, 2005 n.5, 89-97). Nous avons développé les catégories utilisées par ces auteurs pour analyser les représentations féminines dans ces manuels scolaires d'histoire, produits et utilisés dans des cantons suisses francophones.
A la lumière des résultats obtenus nous pouvons ainsi affiner et préciser les interprétations déjà avancées et prolonger la discussion par rapport aux conséquences et aux répercussions sur l'avenir identitaire, social et professionnel des élèves. Les élèves, que peuvent-ils retenir des ces leçons d'histoire au sujet des rapports sociaux de sexe pour construire (ou consolider) leur identité, individuelle et collective, encore fortement différenciée ? Les manuels scolaires d'histoire ne véhiculent-ils pas (encore et toujours) des leçons d'injustice et d'inégalité qui se perpétuent ainsi sans cesse ?
Et si l'histoire et ces moyens d'enseignement peuvent être considérés ici comme des exemples, la question fondamentale posée est de savoir quels concepts de justice et d'égalité dans les rapports sociaux de sexe peuvent être retenus par ces élèves à la fin de cette formation.
Les mêmes questions se représentent toujours. Malgré quelques changements, de manière toujours sournoise l'école reproduit les inégalités de sexe. Pourtant, avec un peu de volonté lors de l'élaboration des manuels scolaires, une attention accrue pourrait permettre d'éliminer bien d'éléments discriminatoires, dont la portée à long terme est, souvent involontairement, ignorée ou sous-estimée.
Une étude de cas, une de plus peut-être, pour rappeler que la prise de conscience, si elle commence à exister, a toujours de la peine à être traduite dans les faits.