Equité et égalité de traitement pour tous, enjeux et conséquences de la discrimination positive pour les étudiants handicapés
Communication de Claire Magimel pour l'atelier 5 "Diversification, gestion sociale des inégalités et lutte contre l'exclusion"
Claire MAGIMEL
Sociologie du handicap
etudhand_cmag@hotmail.com
L'accès aux études supérieures d'une population d'étudiants toujours plus nombreuse et de plus en plus hétérogène contraint l'institution universitaire à s'adapter. Elle distingue alors, au sein de son public, ceux qu'elle désigne comme « les publics spécifiques ». Ce sont les étudiants qui, du fait d'une ou plusieurs particularité(s) ne peuvent se conformer aux mesures mises en place pour l'ensemble du public estudiantin. Ces publics spécifiques nécessitent alors, de la part de l'institution, une adaptation de ces mesures afin de favoriser leur égalité des chances par rapport à l'ensemble des étudiants et ainsi de leur garantir une équité. Ces adaptations concernent non seulement les conditions d'acquisition des connaissances mais aussi l'ensemble de la vie étudiante afin de lutter contre toutes les formes d'exclusion dont ces publics peuvent être victimes. Parmi ces publics spécifiques, on trouve les étudiants sportifs ou musiciens de haut niveau, les étudiants étrangers, les étudiants salariés mais aussi les étudiants prisonniers et les étudiants handicapés. Ce sont les différentes formes de discrimination et/ou d'exclusion dont ces derniers peuvent être victimes que présente cette communication.
Celle-ci s'appuie sur un travail de thèse portant sur la place du handicap et des étudiants handicapés au sein de l'institution universitaire. Aujourd'hui cette place apparaît comme le résultat à la fois d'une conquête menée depuis plus de vingt ans et des politiques institutionnelles conduites dans ce domaine. Elle traduit les tensions qui peuvent exister entre équité et égalité de traitement, d'une part, et entre égalité des chances et compensation des besoins particuliers, d'autre part. Autrement dit, la question posée à l'institution est de savoir comment concilier traitement de masse et réponse au cas par cas aux demandes de certains étudiants. Une des conséquences de cet objet de recherche est qu'il implique une approche croisée, analysant autant les politiques menées et les réalisations mises en place, que le vécu des étudiants destinataires. Ainsi, pour apprécier l'égalité de traitement entre différents publics, ce n'est pas uniquement la validation des connaissances qui doit être étudiée mais, également, les conditions d'accueil et d'information, les relations entres les étudiants spécifiques et les autres membres de la communauté ainsi que les conditions d'accès et de déplacement sur les différents site universitaires.
Cette approche croisée s'appuie tant sur les travaux de l'écologie urbaine (l'école de Chicago, Joseph, Thibault), de l'écologie de la perception (Gibson, Joseph), de la cognition distribuée (Joseph, Lahlou, Conein), que sur ceux de l'interactionnisme symbolique et notamment les ouvrages de Goffman. Mais ces références théoriques ont également influencé la méthodologie. Ainsi, les ressources pédagogiques, matérielles, informatives ou architecturales mise à la disposition des étudiants ont été analysées dans une perspective écologique. De même, les relations entre les étudiants handicapés et les autres membres de la communauté universitaire, ainsi que leurs usages des ressources, ont été examinées sous le prisme de l'interactionnisme. Ce sont donc des analyses microsociologiques qui ont émergé d'un matériau provenant de sources diverses.
Outre l'étude de documents administratifs (chartes des examens, règlements intérieurs, dossiers d'inscription), ceux diffusés aux étudiants (livrets d'accueil, presses internes) et les autres outils de communication des universités (sites Internet), des entretiens ont été menés auprès des divers membres de la communauté : équipes présidentielles, secrétariats administratifs, personnels des services sociaux ou médicaux, responsables de l'accueil des étudiants handicapés, enseignants et professeurs, personnels techniques, étudiants handicapés et ceux qui les accompagnent au quotidien sur le campus. Ces entretiens ont été complétés par des témoignages d'étudiants handicapés et de deux questionnaires diffusés, l'un auprès de la population étudiée, et l'autre auprès de l'ensemble de la communauté universitaire d'un site de l'un des établissements parisiens. Parallèlement, un travail d'observation de plusieurs semaines a été effectué dans plusieurs universités. Il s'est agit alors de suivre le responsable d'accueil dans ses diverses activités que ce soit auprès des étudiants qu'il est chargé d'accompagner au sein de l'institution ou auprès de celle-ci, à laquelle il rappelle, sans cesse, les particularités des étudiants handicapés.
Pour chacun de ces outils, la question posée en arrière plan, était toujours la place du handicap et des étudiants handicapés. Dans les différents aspects de la vie étudiante, ces étudiants sont-ils considérés de la même façon que l'ensemble des étudiants ou bénéficient-ils d'un traitement spécifiques ?
La diversité des politiques menée en matière de vie estudiantine explique la multiplicité des terrains. Ainsi, ce travail d'enquête a été réalisé dans vingt-et-une universités en Ile-de-France et au Québec. L'hétérogénéité des contextes historiques, géographiques, politiques et institutionnels, notamment en matière d'enseignement supérieur et de handicap, sans en négliger les conséquences, ne constitue cependant pas un biais incontournable dans la mesure où, non seulement cette hétérogénéité se retrouve également parmi les dix-sept universités d'Ile-de-France, mais également parce qu'il existe de réelles similitude entre la France et le Québec en la matière. Enfin, les observations réalisées d'un côté de l'Océan atlantique ont contribué à enrichir celles menée de l'autre côté.
En France comme au Québec, la qualité d'étudiant handicapé repose sur un processus déclaratoire. En France, l'étudiant adresse sa demande de reconnaissance au service médical de son université. Au Québec cette demande est formulée auprès du ministère provincial de l'Education. Cette différence de procédure explique, en partie, que la compensation des incapacités de l'étudiant reconnu comme handicapé est financée, au Québec, par le Ministère et, en France, par les universités.
En France comme au Québec, de nombreuses différences de traitement sont perceptibles entre les étudiants reconnus comme handicapés et les autres. Ainsi, suivant l'importance donnée aux stigmates de leurs spécificités, ils peuvent être victime d'un processus de stigmatisation de la part d'autrui ou imposé par la configuration des espaces. En effet, le plus souvent, l'étudiant qui a des difficultés de mobilité est contraint de se démarquer de ses pairs pour emprunter un cheminement qui lui soit accessible. Mais cet étudiant peut aussi être le bénéficiaire de cette différence de traitement. Il peut alors, s'il le souhaite, avoir recours à un dispositif d'accueil et d'information spécifique, il est soumis à une politique différente et certains équipements (équipement adaptés : toilettes ou places de stationnement) lui sont réservés prioritairement ou exclusivement. De même, dans ses relations avec autrui, sa spécificité peut lui permettre d'obtenir des ressources ou des informations qui ne sont pas, en principe, diffusées aux étudiants. Quand elle bénéficie à l'étudiant handicapé, cette différence de traitement est justifiée par le principe de discrimination positive. Celui-ci part du présupposé que l'étudiant qui a des besoins particuliers, a moins de capacités pour réussir dans ses études. Ainsi, quand c'est possible, on lui accorde certains avantages. Ces derniers se justifient, quant à eux, par la volonté de renforcer l'égalité des chances. Cependant, si on renforce cette égalité par ces mesures de discrimination positive, on renforce en même temps une différence de traitement qui va à l'encontre des objectifs d'égalité de traitement et d'équité entre tous les étudiants recherchés par l'institution universitaire. On aboutit donc à un paradoxe.
Dans certains établissements, on constate un changement de regard vis-à-vis des étudiants définis comme handicapés : leurs besoins spécifiques sont incorporés aux aménagements. Ainsi, dans une université québécoise, les rampes d'accès sont mitoyennes ou englobées dans l'escalier. De même, en France, les ascenseurs répondants aux besoins de chaque individu (boutons d'appel abaissés, inscriptions brailles, largeur de la cabine, annonces visuelles et sonores) se multiplient. La conséquence en est l'usage du même équipement ou cheminement par tous en dépit des différences de capacité. C'est donc une discrimination spatiale qui est ainsi résolue. Peut-on envisager la même évolution sur le plan pédagogique ? Certains membres d'équipes présidentielles commencent à penser que des dispositifs, comme le soutien pédagogique en second et troisième cycle réservé aux étudiants handicapés, pourraient être généralisés et proposés à tous les étudiants qui ont des difficultés. A travers ces exemples, au-delà d'un changement de regard, on assiste à une redéfinition de la norme étalon. Ce n'est plus l'étudiant lambda qui est la référence mais celui qui a le plus de besoins à compenser. L'enjeu de l'égalité des chances devient ainsi démocratique. Il s'agit alors de dépasser les spécificités de chaque individu pour permettre à tous d'appartenir à une même société et ne plus en être exclu du fait d'une différence de traitement.