Outils personnels
Vous êtes ici : Accueil Colloques Colloque "Repenser la justice en éducation" École unique et Élitisme républicain : les débats des fondateurs (1916-1919)
A la une

Culture commune socle commun
Culture commune
socle commun

Quatre séminaires et un colloque international à l'INRP dans le cadre de la recherche « De la culture commune au socle commun ».

Plus d'informations


Projet NESSE

L'INRP a remporté l'appel d'offres de la commission européenne intitulé : Réseau européen d'experts en sciences sociales de l'éducation et de la formation (NESSE : European network of experts in the social sciences of education and training).

Plus d'informations

 
Actions sur le document

École unique et Élitisme républicain : les débats des fondateurs (1916-1919)

Par adminDernière modification 19/06/2006 23:05

Communication de Bruno Garnier pour l'atelier 1 "Mise en perspective historique : l'étude de la manière dont le modèle de l'égalité des chances s'est construit aide-t-elle à expliquer la manière dont il se délite ?"

Bruno Garnier
UMR Éducation & Politiques
bruno.garnier@inrp.fr

Les défenseurs du collège unique, aujourd'hui mis à mal par l'insuffisance des résultats obtenus au regard des espoirs d'égalité des chances qu'il a naguère suscités, se réfèrent volontiers aux illustres fondateurs de cette grande idée : Ferdinand Buisson, Édouard Herriot, et surtout les mythiques compagnons de l'université nouvelle. Au moment où le ministre de l'éducation nationale envisage d'avancer à quatorze ans l'âge de l'entrée en apprentissage pour les collégiens en échec scolaire, au risque de fermer aux fils des banlieues les portes du lycée et de l'université, on rappelle Édouard Herriot avait fait trembler de peur les réactionnaires, ceux qui craignaient le grand partage scolaire en promettant tous les dangers pour l'élite. On instaure une analogie avec le temps présent, on fait des adversaires actuels du collège unique des réactionnaires qui renoncent aux objectifs généreux des concepteurs de l'école unique, ces jeunes universitaires qui avaient vingt ans quand la première guerre mondiale les a jetés dans les tranchées au contact des fils d'ouvriers et d'agriculteurs. Ces jeunes intellectuels auraient rêvé d'une école plus juste pour les enfants d'une nation broyée par la barbarie humaine mais bravement unie devant l'adversité.

Le parallélisme est tentant, mais est-il fondé ?

Persuadé qu'il faut « accorder la plus grande attention au moment et à la manière dont on ferme une boîte noire, (…) et aussi au moment où une boîte noire se défait » (Jean‑Louis Derouet, École et Justice 1992 : 31), j'ai entrepris le dépouillement de documents de diverses natures : monographies, tribunes et articles de presse ayant paru durant la Grande Guerre en France. Les compagnons de l'université nouvelle sont souvent cités mais plus rarement on a tenté de savoir quels hommes se cachaient derrière ce collectif, sous l'effet de quelle instigation il s'est constitué et quelles étaient ses modèles de référence. L'idée le plus souvent véhiculée à leur propos est celle de la maturation du projet d'université nouvelle dans les tranchées visant une plus grande justice sociale, qui aurait été ensuite livré à la réflexion publique au lendemain de la guerre et rejeté à cause de son audace.

La boîte noire de l'école unique se serait donc constituée pendant la guerre et, combattue par les défenseurs réactionnaires de deux ordres scolaires séparés, l'idée aurait ensuite traversé le XXe siècle presque inchangée. Il aurait fallu une cinquantaine d'années avant qu'elle soit réalisée, sous le ministère Haby, avant de se trouver de nouveau confrontée aux critiques de néo‑réactionnaires.

Bien que mon travail de recherche documentaire ne soit pas achevé, loin s'en faut, je suis en mesure d'avancer quelques éléments qui nuancent à tout le moins la pertinence de cette vision des choses. Non seulement, comme on le sait, l'idée et l'expression d'école unique sont antérieures aux écrits des compagnons, mais surtout, comme on le sait moins, plusieurs conceptions s'étaient exprimées au moment où leur collectif est apparu. Leur projet d'université nouvelle, qui est sans aucun doute l'exposé programmatique le plus précis qui ait été fait de l'école unique jusqu'alors, n'était en son temps ni le plus audacieux, au plan des enjeux sociaux, ni le plus combattu par les défenseurs de l'école libre et des intérêts des milieux sociaux aisés. La lecture des articles parus dans l'Opinion et dans École et la Vie entre 1917 et 1919 montre que le souci des compagnons est moins la justice sociale que l'élargissement de la base du recrutement de l'élite dont l'économie française aurait besoin au lendemain de la guerre pour diriger le pays et mettre en œuvre les réformes économiques, politiques et administratives qui s'imposaient à leurs yeux. Leur référence n'est ni le projet de Condorcet ni l'audacieuse conception de leur contemporain Ludovic Zoretti : c'est chez l'ennemi, en Allemagne, qu'ils trouvent leur modèle. L'efficacité de la pédagogie de guerre allemande a frappé leurs esprits : là‑bas, l'école unique a produit des effets spectaculaires. L'intuition des compagnons est qu'une formidable compétition économique entre la France et l'Allemagne va succéder à la compétition des armées. Telle était la conviction de V. H. Friedel, auteur de la Pédagogie de guerre allemande (1917), telle était aussi celle de Jules Corréard alias Probus, auteur de La plus grande France, vaste projet de reconstruction de la nation, entrepris dès 1915 et éditeur des compagnons (in Les Cahiers de Probus). Situer les écrits des compagnons, souvent techniques, dans le projet de reconstruction de la société française après la guerre est une démarche essentielle à la compréhension des enjeux de leur projet.

Loin de vouloir fonder un nouvel ordre scolaire sur des valeurs intangibles, les compagnons recherchent le consensus le plus large possible autour d'un projet qui vise avant tout l'efficacité économique et sociale de l'école. C'est pourquoi ils présentent leurs idées par chapitres dans les parutions hebdomadaires de l'Opinion, à la manière d'un feuilleton. Un véritable forum s'ouvre alors dans le journal : les questions, les critiques, les suggestions d'illustres auteurs, hommes politiques, ou d'acteurs sociaux anonymes paraissent au fur et à mesure que les compagnons perfectionnent leur programme et sortent de l'anonymat pour se constituer en association, tenant bientôt des réunions publiques. Sensibles aux critiques, ils retouchent leur ouvrage et l'assouplissent sensiblement. L'évolution est nette entre 1917 et fin 1919. Il ne s'agit plus alors ni de mettre tous les enfants dans les mêmes établissements jusqu'à l'entrée au lycée, ni de concurrencer l'école confessionnelle destinée aux classes favorisées : seule l'école primaire sera « unique ». Au‑delà, deux principes les inspirent : la rénovation des contenus d'enseignement et le perfectionnement des méthodes d'orientation des élèves. Reprenant les idées exprimées par Alexis Bertrand et publiées par Charles Péguy dans Les cahiers de la Quinzaine au début du siècle, les compagnons veulent rompre avec la suprématie du latin et des études classiques au profit d'un humanisme scientifique d'égale dignité mais mieux approprié aux besoins de la nation. En ce qui concerne l'orientation, leur critique des procédés de sélection des élèves est féroce. Plus on oriente tôt les élèves inaptes à l'enseignement général vers une formation professionnelle, sans retour possible au lycée, mieux c'est ; mais plus il faut être sûr de la pertinence des critères et des examens. Ce n'est pas par hasard qu'Henri Laugier, l'un des compagnons, sera également l'un des fondateurs de la docimologie.

A bien des égards, les compagnons de l'université nouvelle veulent parachever l'œuvre de Jules Ferry, en adaptant au contexte économique et social né de l'après guerre l'instrument d'extraction de l'élite sociale et de formation de travailleurs efficaces que doit être l'école. L'urgence est alors extrême, devant la saignée opérée par la guerre dans les forces vives de la nation. Les moyens préconisés sont conformes au principe de l'égalité républicaine, qui ne doit pas être confondu avec celui de l'égalité des chances qu'on prêtera plus tard au collège unique et sur la base duquel on dénonce aujourd'hui sa faible réussite : pas de compensation des inégalités géographiques, des inégalités sociales, des inégalités naturelles dans les propositions des compagnons. La nation doit s'accommoder des inégalités et en tirer le meilleur profit et le plus équitable, pour le bien commun, sans prescrire à son école la mission de les réparer.

J'aborderai, ou plutôt j'esquisserai, pour finir, un dernier point d'importance. Si le projet de l'université nouvelle était si peu révolutionnaire et si peu contesté, pourquoi n'a-t-il pas été appliqué entre les deux guerres ? A cette question, il faut répondre avec quelques nuances. Tout d'abord, si l'inventaire des réformes de l'éducation réellement mises en œuvre après la guerre reste très en deçà des propositions des compagnons, il ne fait aucun doute que les décisions arrêtées sont allées dans leur sens. Les compagnons, qui publieront un bulletin trimestriel jusqu'au début des années 1930, ne manqueront pas de saluer ces avancées et de décrire les expériences menées çà et là avec l'aval des autorités académiques. Ensuite, il faut souligner que les obstacles à des réformes d'envergure étaient peut-être moins idéologiques qu'économiques ou liées à l'instabilité ministérielle. Enfin et surtout, c'est dans les rhétoriques politiques qui se mettent en place à propos de l'éducation qu'il apparaît que les thèmes du programme des compagnons ont laissé une trace profonde, au point d'entretenir jusqu'à nos jours le mythe de leur pérennité.

Education et sociétés
Numéro 21
Former des élites dans un monde incertain
Coordonné par Yves Dutercq
  • Comité de rédaction
  • Consignes aux auteurs
  • Numéros parus
  • Numéros à paraitre
  • Forum
AISLF
Association internationale des sociologues de langue françaiseComité de recherche n °7 Éducation, Formation, Socialisation
  • Présentation du comité
  • Membres du comité
  • Activités
  • Programme
  • Forum
 

Réalisé avec le CMS Plone, le système de gestion de contenu Open Source

Ce site respecte les normes suivantes :