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La création de capital social comme critère d'évaluation

Par adminDernière modification 19/06/2006 23:03

La communication de Bernard Perret : "La création de capital social comme critère d'évaluation des politiques éducatives" pour le colloque "Repenser la justice dans le domaine de l'éducation et de la formation"


Bernard PERRET
CRIDA-LISE

bernard.perret@equipement.gouv.fr

Relativement peu connue en France, la théorie du capital social occupe depuis quelques années une place importante dans le champ de la réflexion socio-économique au niveau mondial. Quelles que soient les critiques souvent justifiées dont ont été l'objet les travaux fondateurs de Robert Putnam, ils ont le mérite d'ouvrir un nouveau domaine de questionnement au croisement de l'économie, des sciences sociales et de l'évaluation des politiques publiques. L'intérêt heuristique de la notion de capital social provient notamment du fait qu'elle oblige à prendre en compte les structures sociales comme des ressources pour le développement socio-économique et à se préoccuper explicitement des conditions de leur reproduction. Elle représente ainsi une nouvelle dimension des référentiels de l'action publique. La présente communication est un plaidoyer en faveur d'une introduction de la notion de capital social comme terme de référence des politiques éducatives.

I- Éléments sur la théorie du capital social

Du bien privé au bien public

Sans être le premier à l'utiliser, Pierre Bourdieu a fortement contribué à installer la notion de capital social dans le vocabulaire de la sociologie. Il existe cependant une différence entre l'acception bourdieusienne de capital social et celle qui tend à se répandre depuis quelques années au niveau international. Pour Bourdieu le capital social est un bien privé : la participation aux réseaux sociaux est une ressource qui augmente la capacité des individus à promouvoir leurs intérêts économiques et leur pouvoir social 1.

Tels qu'ils se développent depuis le début des années 90, les travaux sur le capital social considèrent plutôt celui-ci comme un bien public : le renforcement des réseaux profite à l'ensemble de la collectivité. La définition la plus souvent citée est due à Putnam : « Le capital social fait référence à des caractéristiques de l'organisation sociale telles que les réseaux, les normes et la confiance sociale, qui facilitent la coordination et la coopération en vue d'un bénéfice mutuel 2 ». Sans nier, ce qui serait absurde, que l'inégal accès des individus aux réseaux – et/ou l'inégale productivité des réseaux auxquels ils participent - constitue une dimension essentielle de l'inégalité, l'approche putnamienne met l'accent sur le caractère macro-social de la ressource.

Peut-on quantifier l'état des liens sociaux ?

On pourrait dire de la théorie du capital social qu'elle réactualise, sans y apporter rien de radicalement nouveau, un questionnement sur l'évolution du lien social aussi vieux que la sociologie. La nouveauté de l'approche de Putnam réside dans le fait qu'elle considère le capital social comme une grandeur objectivable et potentiellement mesurable. Quelles que soient les réserves méthodologiques qu'inspire une telle posture, force est de reconnaître sa puissance heuristique. Formulée en terme économique et patrimonial, la question du lien social quitte du champs clos de la réflexion sociologique pour devenir un enjeu politique. Depuis quelques années, les organismes internationaux comme la Banque Mondiale et l'OCDE 3 consacrent d'importants efforts à l'étude et à la mesure du capital social, celui-ci apparaissant comme une composante de la « richesse des nations » dont il est difficile de faire abstraction lorsqu'on veut comprendre les processus de développement économique. Dans ce contexte, le capital social fournit un terrain et un langage commun aux économistes, sociologues et anthropologues, contraints pour une fois de s'intéresser à un même objet 4. En tant que critère d'évaluation du développement social, le capital social apporte une dimension nouvelle par rapport aux approches habituelles du bien-être et de la justice sociale, exclusivement rapportées au bien-être individuel.

L'impact des travaux de Putnam tient pour une bonne part à la puissance de son dispositif empirique. Dans Bowling alone, il présente de nombreuses données sur la participation politique, l'engagement civique, les relations sociales dans le monde du travail, les liens sociaux informels, le bénévolat, les comportements philanthropiques, la réciprocité, l'honnêteté et la confiance. Pratiquement tout les indicateurs marquent un déclin au cours des dix dernières années. Pour les plus significatifs d'entre eux (engagement associatif, affiliation syndicale…), le début de ce déclin remonte au milieu des années 60, marquant une rupture avec la croissance quasi continue du capital social au cours du XX° siècle.

La transposition de ce diagnostic aux pays européens n'est toutefois pas sans poser problème. Toute tentative pour comparer l'évolution du capital social dans des sociétés différentes bute sur la diversité des formes du lien social. Il est douteux que l'on puisse élaborer un indicateur de densité et de qualité des réseaux sociaux dont la signification ne dépende pas crucialement du contexte politique et culturel.

II- Capital social et politiques d'éducation

Croissance économique et capital social

Ingrédient de la croissance capitaliste, le capital social n'est pas naturellement produit par la croissance économique. Il est vraisemblable que certaines caractéristiques de la croissance actuelle sont défavorables au capital social. Parmi les causes du déclin du capital social aux Etats-Unis, Putnam identifie plusieurs facteurs directement liés à l'évolution économique récente : 1) l'accroissement des contraintes de temps et d'argent (« y compris les pressions temporelles auxquelles sont soumises les familles où les deux conjoints travaillent » ; 2) l'évolution de l'habitat et développement de la mobilité (« la ‘rurbanisation', l'étalement et les migrations journalières ») ; 3) l'impact de l'évolution technologique sur les loisirs («  electronic entertainment  ») 5. A cette liste, on peut ajouter les effets de la crise de l'intégration sociale par le travail, conséquence avérée des mutations du système socio-productif.

Si l'on accepte ce diagnostic, la question se pose de produire volontairement le capital social pour contrebalances les tendances négatives à l'oeuvre au sein des sociétés néo-capitalistes. D'ores et déjà, aux Etats-Unis, le capital social est parfois pris en compte comme critère d'évaluation des politiques et programmes publics. Cet intérêt pour le capital social doit être rapproché de la problématique plus générale des capacités d'action. A travers le capital social, on s'intéresse aux capacités d'action collective qui existent au sein de la société. Cette préoccupation s'inscrit dans une tendance plus large à réinterpréter le bien être en terme d'autonomie, de compétence et de pouvoir d'agir ( empowerment ). Dans le monde anglo-saxon, cette perspective participe souvent d'une critique des politiques redistributives qui s'enracine dans l'idéologie traditionnelle de la self-reliance . Pour autant, on ne saurait réduire la redécouverte de l'action à un avatar de l'idéologie néo-libérale : l'objectif de transformer les politiques de transfert en politiques d'incitation à l'activité est s'est largement imposé depuis quelques années, par-delà les clivages idéologiques. Au plan théorique, le succès de la notion de « capabilités » introduite par Amartya Sen participe du même mouvement d'idée.

L'École comme lieu de production du capital social

L'importance du capital social ne peut que s'accroître dans un contexte marqué par l'affaiblissement du lien entre formation et emploi. Le rôle des réseaux relationnels dans l'accès à l'emploi est un phénomène bien connu. Par ailleurs, indépendamment de la situation du marché de l'emploi, la tertiarisation du travail accroît l'importance des compétences sociales. Or, ces compétences sont de toute évidence étroitement liées à l'accès au capital social.

En tant que bien privé, le capital social peut être vu comme une ressource à distribuer équitablement. Il en découle un certain nombre de conséquences pour la formation : l'Ecole doit, d'une part, participer directement à la création de réseaux et, d'autre part, développer les capacités relationnelles qui permettent aux individus de se mouvoir dans ces réseaux et d'utiliser de manière optimale les ressources auxquelles ils donnent accès. Ce double objectif est d'ores et déjà pris en comte par les grandes écoles, qui ont compris depuis longtemps que le capital social était l'un des leviers majeurs de la réussite sociale de leurs élèves. L'ensemble du système éducatif devrait s'inspirer de cette stratégie. Par ailleurs, l'École est également concernée par le capital social en tant que bien public.

Si on suit cette suggestion, l'éducation devrait se fixer pour tâche de faciliter la création de « bons » réseaux sociaux, c'est à dire de réseaux susceptibles de se connecter les uns aux autres par des « liens faibles » et d'être positivement reliés aux institutions. Cela implique, d'une part, un effort accru pour faire de l'école un lieu d'acquisition de compétences communicationnelles et relationnelles et, d'autre part, un lieu d'apprentissage du rapport aux institutions. D'après Putnam (l'observateur de l'OCDE 2004), «  On a pu montrer que l'éducation civique, les services obligatoires rendus à la collectivité et même les activités extrascolaires telles que le sport et la musique avaient des effets à long terme sur l'implication civique des étudiants qui y avaient été exposés. ». Dans le même entretien, Putnam évoque la question de l'architecture des établissements scolaires. Certaines manières d'organiser l'espace sont de nature à faciliter la vie sociale dans les établissement. Enfin, selon Putnam, la prise en compte du capital social conduirait à privilégier les petites structures : «  La plupart des recherches semblent indiquer que du point de vue du capital social, il vaut mieux faire « plus petit », qu'il s'agisse de villes, d'entreprises ou de salles de classe. Nous devons réfléchir avec soin à la manière d'encourager la décentralisation et de responsabiliser des organisations de base de tous horizons, tout en conservant certains des avantages des économies d'échelle. »

Enfin, la création de capital social renvoie à des contenus d'enseignement : la prise de conscience de la valeur individuelle et collective des réseaux, des normes et de la confiance sociale passe par une initiation précoce aux sciences sociales.

1 « Le capital social est l'ensemble des ressources mobilisées (des capitaux financiers, mais aussi de l'information, etc.) à travers un réseau de relation plus ou moins étendu et plus ou moins mobilisable qui procure un avantage compétitif en assurant aux investissements des rendements plus élevés » ( Les structures sociales de l'économie , Seuil 2000).

2 R. Putnam, “ Bowling alone : America's declining Social Capital ”, The Journal of Democracy , january 1995.

3 Cf. le rapport de l'OCDE   Du bien-être des nations : le rôle du capital humain et social , OCDE, Paris 2001.

4 Christiaan Grootaert Social Capital, The Missing Link , The World Bank, Social Capital Initiative, Working Paper N° 3.

5 Bowling alone …p. 283.

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Numéro 21
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