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Inégalités, dispositifs scolaires et dispositions sociales

Par adminDernière modification 19/06/2006 23:02

Proposition de communication de Bernard Lahire pour la séance plénière "Le désenchantement du projet d'égalité des chances"

Bernard Lahire
Professeur de sociologie à l’École normale supérieure -
Lettres et Sciences humaines (ENS-LSH)
Directeur du Groupe de recherche sur la socialisation (GRS)
(UMR 5040 CNRS)

Je souhaiterais apporter deux grands éléments de réflexion au débat sur les inégalités dans le domaine de l’éducation :
    I) Tout d’abord, en matière d’analyse des situations d’inégalités sociales, il est toujours utile de commencer par se demander dans quelles conditions historiques une simple différence sociale (ou culturelle) peut devenir une inégalité sociale (ou culturelle). Car toute différence constatable n'est évidemment pas interprétable en termes d'inégalité et n’est pas systématiquement productrice d’un sentiment d’injustice. Il suffit, pour s'en persuader, de faire varier les cas et de considérer des différences qui concernent des objets, des pratiques ou des compétences sans grande valeur (et même dé-valorisés) du point de vue des croyances collectives les plus communément partagées.
    Pour qu'une différence fasse inégalité, il faut que tout le monde (ou en tout cas une majorité des « privilégiés » comme des « lésés ») considère que la privation de telle activité, de tel savoir, de l'accès à tel bien culturel ou à tel service constitue un manque, un handicap ou une injustice inacceptable. C'est pour cette raison que la distribution socialement différenciée des compétences techniques en matière d'orfèvrerie, de mécanique ou de broderie ne fait pas injustice sociale et inégalité sociale : nos croyances collectives n'ont pas constitué ces compétences spécifiques comme des atouts majeurs et la non-possession de ces compétences comme un manque cruel ou un « handicap socio-culturel » insupportable.
    La question de l'inégalité est donc clairement indissociable de la croyance en la légitimité d'un bien, d'un savoir ou d'une pratique, c'est-à-dire indissociable de ce que l'on pourrait appeler le degré de désirabilité collective entretenue à leur égard. En effet, ce qui marque l'écart entre une différence sociale et une inégalité sociale d'accès à toute une série de biens, pratiques, savoirs, institutions, etc., c'est bien le fait que l'on a affaire, dans le second cas de figure, à des objets qui sont définis, collectivement et de manière assez large, comme hautement désirables. Il n'y a inégalité que parce qu'il y a forte désirabilité collectivement définie.
    C'est seulement au moment où la culture scolaire devient valeur sociale collectivement partagée que le discours sur les inégalités sociales d'accès à l'École peut s'instaurer. Cela rappelle le caractère fondamentalement historique (et modifiable) des sentiments collectifs de haute désirabilité pour telle ou telle catégorie de biens, d'activités ou de savoirs et oblige le chercheur qui mesure habituellement les différentes sortes d'inégalités à prendre conscience des croyances collectives qui constituent les conditions symboliques d'existence de ces inégalités. Au lieu de mesurer sans réflexivité les écarts entre groupes sociaux, classes sociales ou catégories sociales et de convertir automatiquement toute différence en inégalité, le sociologue doit avant s’interroger sur la genèse de ces croyances collectives, les processus de légitimation, de dé-légitimation ou de re-légitimation des différentes sortes de biens, activités ou savoirs, et, en fin de compte, les luttes pour la définition sociale de « ce qui compte », de « ce qui a de la valeur », bref, de ce qui fait « capital » aux yeux du plus grand nombre.
II) Le second point est plus directement lié au titre de l’exposé. Travaillant sur la construction ordinaire des inégalités sociales d’accès aux savoirs scolaires, le sociologue a tout intérêt, pour comprendre ce qui se passe, à détailler les malentendus, les dialogues de sourds, les rencontres malheureuses ou les contradictions culturelles qui se jouent très tôt entre les agents de l’institution scolaire (et la situation scolaire dans son ensemble en tant que situation de socialisation spécifique) et les élèves porteurs de dispositions sociales (manières de sentir, de parler, de penser, d’agir) peu compatibles avec celles requises par la situation scolaire. Pour cela il ne lui faut négliger ni la description et l’analyse des propriétés des contextes et dispositifs scolaires ni l’analyse des dispositions incorporées par les élèves.
    La notion d’« habitus » a été au cœur de cette façon dispositionnaliste de concevoir l’interaction entre l’école et les élèves. Elle permet globalement de comprendre que le contexte scolaire constitue, selon les catégories d’élèves, une invitation ou un frein à l'expression des dispositions socialement constituées par les instances de socialisation antérieures, et notamment par la famille. Les comportements des élèves en « échec scolaire » peuvent ainsi être interprétés comme les produits d’une mise en crise des dispositions incorporées.
Mais il est sans doute préférable de concevoir les élèves comme des porteurs d’un « patrimoine de dispositions » pas nécessairement homogènes que de les imaginer porteurs d’un habitus cohérent (un « système de dispositions transférable ») et globalement contradictoire par rapport aux attentes scolaires. L’étude des cas statistiquement atypiques d’enfants de milieux populaires réussissant scolairement montre bien que ces enfants peuvent avoir quelques dispositions scolairement favorables (du point de vue, par exemple, du rapport à l’autorité) leur permettant de construire dans le cadre scolaire les dispositions culturelles manquantes (celles que leur famille ne leur a pas permis de constituer) .
Une telle approche incite à distinguer les différents éléments favorables à la « réussite scolaire » à différents moments de la scolarité (primaire, secondaire et supérieure) et en différents lieux du système scolaire (dans les formations scientifiques, techniques, littéraires, etc.) pour saisir les raisons et conditions précises, dans chaque contexte, des « réussites » et « échecs » scolaires.

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