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La diversité sociale de l'enseignement secondaire entre les deux guerres

Par adminDernière modification 19/06/2006 22:58

Proposition de communication d'Antoine Prost pour la séance plénière "Tous et les meilleurs : justice en éducation et modèle de société dans les pays développés"

Antoine Prost
université de Paris I Panthéon-Sorbonne
ap-prost@3dnet.fr

On se propose, à partir de l'examen des structures sociales du collège de garçons d'Argentan et du lycée de filles de Bordeaux entre les deux guerres, de réexaminer les affirmations classiques sur le caractère de classe de l'enseignement secondaire.

Le collège d'Argentan

Argentan est une petite ville (7.200 hab. en 1936), et son collège un petit collège (180 à 190 élèves). Le dépouillement du registre d'inscription donne l'impression d'une mixité sociale. Les fils de cadres supérieurs (magistrats, médecins, avocats, notaires, propriétaires) côtoient ceux de commerçants, d'employés, d'agriculteurs et d'ouvrier (aiguilleur, mécanicien, palefrenier). On sort de cet établissement pour aller aider ses parents ou entrer en apprentissage, parfois avec le certificat d'études, mais aussi avec le baccalauréat pour entrer en classe préparatoire ou en université.
L'analyse statistique montre certes une domination de la bourgeoisie, mais qui s'accompagne d'une forte représentation des commerçants, cadres moyens, ouvriers et gens de métier. Si la structure sociale du collège est manifestement disproportionnée par rapport à celle de la population, la mixité sociale est incontestable. Une analyse plus fine permet d'opposer les petites classes (élémentaires) du collège, qui regroupent plus de la moitié de l'effectif, aux classes proprement secondaires. Dans les grandes classes, la domination de la bourgeoisie est patente, alors que les petites classes sont beaucoup plus mélangées. Les agriculteurs, qui constituent un dixième de la clientèle des petites classes, disparaissent des grandes. La différence la plus forte concerne les classes moyennes (instituteurs, chefs de bureau, comptables) qui, très sous-représentées dans les petites classes, font jeu égal avec la bourgeoisie dans les grandes. Il est clair que cet établissement "à tout faire" ne remplit pas la même fonction dans ses grandes classes et dans ses classes de la 11ème à la 5ème.

Le lycée de filles de Bordeaux

A l'autre extrémité de la hiérarchie des établissements secondaires, le lycée de filles de Bordeaux présente des caractères très différents. Les petites classes pèsent très peu dans l'effectif, alors que les classes de second cycle sont très étoffées. Les classes inférieures sont pratiquement absentes. Pas d'agriculteurs, quelques filles d'ouvriers et de gens de métier. La bourgeoisie domine massivement ce lycée, lui fournissant presque la moitié de ses élèves, au point qu'il devient nécessaire d'effectuer des distinctions en son sein.
Une analyse plus fine permet de montrer que, paradoxalement, la bourgeoisie du secteur privé (négociants, médecins, ingénieurs) ne privilégie pas les sections latines. En revanche, les cadres supérieurs du secteur public (officiers, professeurs), préfèrent ces sections aux sections modernes. La différence culmine chez les cadres moyens du secteur public (instituteurs notamment) qui font le plus volontiers faire du latin à leurs filles. Ce qui oblige à nuancer l'affirmation classique des humanités classiques comme trait distinctif de la bourgeoisie. Ce sont d'abord les études privilégiées par l'université, et qui comme telles offrent les perspectives apparemment les plus sûres de promotion sociale. L'étude met en outre en évidence une politique des bourses destinée à peupler les classes supérieures, notamment la préparation à Sèvres sciences et lettres, et donc à assurer le recrutement de professeurs. La fonction reproductrice de l'enseignement est d'abord celle de l'enseignement lui-même.

Le court est le début du long

Les établissements secondaires présentent donc des morphologies très différentes que mettent en évidence des pyramides des classes construites sur le modèle des pyramides des âges. Ces pyramides des classes pour les collèges d'Argentan, Château-Thierry et Bordeaux, opposent les deux premiers établissements, dont la base est large et le sommet étroit, au troisième, qui présente un profil inverse. Château-Thierry se distingue par des classes primaires supérieures qui gonflent fortement les niveaux moyens (6ème à 3ème). La conjoncture démographique de l'époque a en effet incité beaucoup de collèges de garçons (mais pas celui d'Argentan) à ouvrir de telles sections pour étoffer leurs effectifs et garantir leur survie. Pour l'ensemble des collèges de garçons, l'effectif des classes primaires et primaires supérieures dépasse la moitié de l'effectif total au tournant des années trente.
Une tradition qui remonte à l'Ancien régime confirme ainsi sa persistance : l'utilisation par des classes sociales qui ne sont pas vraiment bourgeoises, sans pour autant être populaires, du début de l'enseignement secondaire, de préférence sans latin, pour donner à leurs fils un complément de culture. Quand les établissements sont assez prospères, ils donnent peu d'importance à ces classes ; quand ils ne le sont pas, ils les développent au contraire pour étoffer leur effectif. Quelques pyramides des classes pour 1842 illustrent les différences ainsi créées entre établissements secondaires : les différences morphologiques traduisent des différences de fonction et de public.
L'affirmation sommaire qui fait de l'enseignement secondaire l'apanage séculaire des classes dominantes appelle donc quelques nuances. Les différentes classes sociales ont développé des usages différents du secondaire, qui ont entraîné une triple diversification : interne aux établissements, avec d'une part un usage long et un usage court de l'enseignement, d'autre part la création de sections multiples, d'abord spéciales, puis modernes, puis primaires supérieures, les unes n'excluant d'ailleurs pas les autres ; externe enfin, avec la hiérarchisation du réseau d'établissement, le niveau social de leur clientèle étant d'autant plus élevé que le long l'emporte sur le court et le classique sur le "pas latin".
La politique des républicains appelle donc une révision. Jules Ferry et ses successeurs n'ont pas coordonné les directions de l'enseignement primaire et secondaire. Ils ont poussé l'une et l'autre à se renforcer, sans réaliser qu'ils créaient ainsi entre le secondaire et le primaire supérieur, ou les écoles pratiques, une concurrence qui allait à terme cliver socialement les publics scolaires de façon inexorable. C'est avec la commission Ribot (1898-99) qu'on a pris conscience du problème. Cette commission extra-parlementaire a en effet découvert, non sans une certaine surprise, que le recul des effectifs des établissements secondaires ne s'expliquait pas, comme elle le croyait, par la concurrence de l'enseignement confessionnel, mais par celle du primaire supérieur, et Ferdinand Buisson, dans sa déposition, expose que cette distinction n'a d'autre base que sociale. Mais les petits établissements secondaires ont conservé longtemps une relative mixité sociale là où ils ne subissaient pas la concurrence du primaire supérieur ou du professionnel, à moins qu'ils n'aient réussi à la faire tourner à leur profit en ouvrant en leur sein de telles sections. C'est d'une part l'allongement des scolarités, obligeant à accroître fortement l'offre d'enseignement, d'autre part l'urbanisation de la société, qui ont durci une ségrégation scolaire aujourd'hui apparemment insurmontable.

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