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Le déclin de l'institution en France et aux États-Unis, gouvernement de l'École et modèles politiques d'éducation

Par adminDernière modification 18/10/2007 14:55

À propos de la contribution de Denis Meuret : Le déclin de l'institution en France et aux États-Unis, gouvernement de l'École et modèles politiques d'éducation.

Entretien au Café Pédagogique


Cette comparaison entre les systèmes éducatifs français et américain oppose leurs deux finalités : le dessillement ici, l'empowerment là-bas. Pour vous il s'agit bien de systèmes politiques opposés issus de 2 philosophies : celles de Durkheim et de Dewey. Quelles conceptions contiennent ces deux termes ?

Je ne suis pas sûr que Dewey lui-même utilise le terme d'empowerment, mais il m'a semblé, en effet, pouvoir synthétiser ainsi l'ambition de l'école selon Dewey. Linda Darling-Hamond, une des continuatrices actuelle de Dewey écrit que l'école doit «provide most americans with an empowering and equitable education 1 »  Une telle éducation, poursuit-elle, réclame des situations d'apprentissage « riches, actives, permettant de comprendre en profondeur », une école qui prépare les élèves à des « interactions sociales constructives et à prendre des décisions avec les autres ». Dewey lui-même nous indique comment comprendre empowerment , à mon sens, en disant que l'éducation doit s'appuyer sur l'expérience, mais que seules éduquent les expériences qui « permettent d'avoir des expériences plus riches dans le futur 2 ». L'école doit permettre à ses élèves une vie plus riche, maintenant et plus tard. Cela s'appuie sur une prémisse : La qualité de la démocratie elle même est liée, à travers l'intensité des échanges, à la richesse des expériences de chacun. Une démocratie de qualité est sans doute l'objectif deweyen que l'école américaine a le plus repris à son compte. A la différence de ce qu'on considère en France, la poursuite de cet objectif civique ne suppose pas que l'école refuse de viser l'insertion dans le monde économique : les échanges économiques, le travail- la capacité qu'on a de l'exercer, le comprendre, d'y déployer son ingéniosité, son intelligence, son courage, son autonomie- font partie de l'expérience, ni plus ni moins que les expériences esthétiques, morales, sociales, que l'école doit aussi viser à rendre plus riches. Empowerment, cela signifie, accroître le pouvoir, la capacité de, celle de ressentir le monde plus profondément aussi bien que celle de le comprendre et de le transformer.

Le « dessillement », de même, n'est pas employé par Durkheim (qui use d'une langue trop pure pour cela : c'est un néologisme, formé à partir de dessiller 3, mais que je n'arrive pas à trouver horrible comme on doit trouver, je crois, les néologismes), mais me semble pouvoir synthétiser l'ambition de l'école selon les écrits qu'il y consacre. Il s'agît de faire tomber les voiles qui, devant les yeux des individus, obscurcissent leur jugement. L'objectif ultime de l'école, pour Dewey comme pour Durkheim, est de nature civique, et, en effet, on imagine mal qu'il en aille autrement dans une société laïque d'égaux. Mais les voies sont autres. L'individu civique, pour Dewey, est celui dont la richesse des expériences et des échanges vivifie la démocratie – aussi bien l'écrivain, qui exprime plus intensément le monde, que le garçon de café baratineur, alcoolique, généreux, et, pour cette raison, aimé de tout son quartier, que Kazan met en scène dans Le lys de Brooklyn, ou encore qu'Einstein, Citizen Kane, ou le citizen qui nous a donné l'internet . Pour Durkheim, c'est celui dont l'esprit est capable de l'élever au dessus des intérêts dont le choc conduit l'humanité à la décadence, pour accéder aux lois et vérités générales dont la compréhension ouvre à des comportements sociaux et moraux conformes à l'intérêt général.


Dans quelle mesure la mouvance "républicaine" est-elle une héritière de Durkheim ?Peut-on dire qu'elle préfère l'autorité de l'Etat à la démocratie et au progrès social ?

A mon sens, le discours dit « républicain » sur l'école une corruption du Durkheimisme. L'influence de cette mouvance est une des manifestations du fait que ce modèle nous handicape aujourd'hui. Un journaliste a, dans une conversation avec moi, opposé mon livre à La fabrique du Crétin de Jean Paul Brighelli, que j'ai donc lu. C'est un bon pamphlet, souvent drôle, parfois « bien envoyé », mais c'est aussi un livre délirant : Brighelli invente le monde qui autorise son discours sur l'école. Dans ce monde là, l'égalité des chances existait dans les années soixante davantage qu'aujourd'hui, l'économie aujourd'hui a besoin d'ilotes-ce pourquoi les pédagogues fabriquent des crétins, mais, en même temps, la meilleure formation pour les futurs managers, comme pour les futurs ouvriers d'ailleurs, ce sont les grands auteurs du patrimoine- les élèves ne demandent qu'à étudier Mallarmé et Schönberg. Tout cela est faux, mais les tenants du modèle ont besoin de le croire, sauf à révéler qu'ils sacrifient leur mission (présenter le monde, selon Arendt, faire grandir, selon Dewey, faire tenir la société, selon Durkheim) à une image de leur métier qui satisfasse leur ego. Aucun discours sur l'éducation ne tient sans une argumentation sur sa relation avec le monde – morale, sociale, économique, de préférence les trois à la fois. Le discours républicain, purement interne à l'éducation, doit inventer le monde qui irait avec sa défense de la tradition scolaire. Le risque sympathique que prend Brighelli est de nous proposer comme forme de la tradition l'école des années soixante, une école dont certains -dont moi- ont encore un souvenir précis, qui ressemble fort peu à celui qu'il en a conservé. Durkheim écrit en fonction d'un monde qui est réellement le sien, ne réclame aucun retour à aucune tradition, puisqu'il en fonde une. D'ailleurs, les républicains s'en réclament peu : il est trop intéressé par le premier degré, la formation des enseignants, la pédagogie. En même temps, l'évidence avec laquelle leur discours est accueilli est son héritage : En proposant une école qui sauve la société d'elle-même, il favorise l'idée que c'est la société qui doit des comptes à l'école, et non l'inverse.


Par exemple dans quelle mesure l'orientation des élèves diffère-t-elle aux Etats-Unis ? Le système est-il socialement plus  juste ou plus injuste que le notre ?

En gros, on peut dire qu'aux USA, « l'orientation » consiste à choisir, non des filières comme en France, mais des cours (océanographie plutôt que philosophie politique, par exemple, en terminale) et des niveaux de difficulté (algèbre 2, plutôt qu'algèbre 1, sachant bien sûr que les cours les plus difficiles préparent mieux aux SAT, les épreuves d'entrée dans le supérieur.

Dans ce contexte, l'institution pousse les élèves vers le haut plutôt que vers le bas : le mauvais élève est un élève paresseux, sa faute est de ne pas utiliser à fond ses potentialités, en se contentant des cours les moins exigeants. En France, le mauvais élève est plutôt incapable, et donc il faut l'empêcher d'aller dans des voies trop difficiles pour lui- en filigrane : d'occuper une place dont il est indigne.

L'influence de l'origine sociale sur la carrière scolaire est plus faible aux USA qu'en France. Nous leur reprochons un système de financement socialement inégal, mais, d'une part, ils multiplient les systèmes de péréquation et de subventions spéciales qui diminuent, sans l'annuler, une inégalité de financement qui existe aussi chez nous, et,d'autre part, leur long tronc commun est plus égalitaire que nos filières

1 Darling Hamond, L. The right to learn, 1997, Josey- Bass, p 7.

2 Dewey, J. Experience and Education, (1938), 1997, Touchstone books, p 25.

3 « dessiller » pour lequel le petit Robert donne comme exemple « L'on commence à dessiller les yeux du peuple sur les superstitions » ( Voltaire).

Education et sociétés
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