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Les élèves face à l'institution scolaire : formes de la contestation et de la résistance

Par adminDernière modification 22/05/2007 14:20

Communication de Valérie Caillet pour le colloque "Déclin de l’institution ou nouveaux cadres moraux ? Sens critique, sens de la justice parmi les jeunes"


On décrit souvent les élèves comme apathiques, passifs, démotivés et désinvestis ; pourtant, lorsqu'on les interroge sur leur expérience scolaire, on découvre chez eux une importante capacité critique qu'ils traduisent par un vif sentiment d'injustice. Dans le quotidien scolaire, les élèves sont en effet régulièrement exposés aux questions de justice et d'injustice, qu'elles concernent les notes, les décisions d'orientation, l'application des sanctions ou encore la construction de la discipline. Cette sensibilité exacerbée à l'injustice ne peut se réduire à une simple posture d'adolescent dans la mesure où les transformations du système scolaire et de ses modes de sélection ont exacerbé les tensions de justice à l'œuvre dans l'école démocratique de masse (Dubet, 2000). Les jugements scolaires notamment sont structurés par deux principes antinomiques. L'égalité conduit à postuler que les élèves sont dotés des mêmes chances de réussir pourvu qu'ils s'en donnent la peine, alors que la référence au mérite permet de classer les élèves selon leurs performances. Pourtant, ceux qui travaillent le plus ne sont pas forcément ceux qui réussissent le mieux et les élèves sont condamnés à ressentir un sentiment d'injustice puisque l'un des deux principes est le plus souvent violé lorsqu'ils sont mis en œuvre conjointement. Pour résister au sentiment d'invalidation et à la honte, les élèves recourent, comme dans l'expérience démocratique, à une catégorie éthique située au-delà des principes : l'appel au respect. Quelles que soient leurs performances, les élèves exigent d'être reconnus dans leur singularité et leur humanité.

La formation du sentiment d'injustice a fait l'objet d'une thèse fondée sur une vaste enquête, entretiens individuels et collectifs, auprès de collégiens et de lycéens (Caillet, 2006). Sans revenir sur le processus de construction des injustices vécues, cette communication propose d'examiner la fonction et la place occupées par le sentiment d'injustice dans l'expérience scolaire, plus précisément dans le processus de socialisation des jeunes et dans la construction de leur rapport à l'institution. Pour cela, je partirai de deux résultats issus de mon matériau. Le premier montre que le sentiment d'injustice n'est que rarement exprimé par les élèves dans le cadre scolaire, en raison notamment de l'absence d'une contestation collective. Plusieurs d'obstacles peuvent être identifiés : la faiblesse des ressources institutionnelles de protestation, la méconnaissance de l'origine structurelle des injustices, les divergences d'intérêts entre élèves contribuent à individualiser les situations d'injustices. L'injustice est ainsi réduite au jeu des relations humaines car le système scolaire n'est jamais remis en cause, ce qui permet ainsi aux élèves de conserver leur besoin de croire en un monde juste (Lerner, 1986). Le sentiment d'injustice est tu ou évoqué de manière détournée, partielle et frustrante car soupçonné par l'institution scolaire d'être un point de vue forcément partial et donc illégitime. Si l'expérience d'injustice est le plus souvent vécue sur un mode intime, comme une activité implicite et souterraine de l'expérience scolaire, elle n'est pas pour autant sans conséquence sur la subjectivité de l'élève et ses relations aux autres et à l'institution scolaire.

L'absence d'une « Voice » (Hirschman, 1995), d'un discours construit autour d'une plainte collective ne suffit pas à rendre compte de la résistance des élèves face aux injustices. Il faut donc s'intéresser dans un second temps à la manière dont les élèves vivent et gèrent leur sentiment d'injustice. Différences stratégies individuelles de défense peuvent être distinguées : l'accusation des autres et le jeu de la face (rationalisation et consolation), la distanciation (protection à travers le désengagement et la démission) ou encore la violence. À leur manière, les élèves tentent de dépasser, voire même d'instrumentaliser les injustices ressenties. Celles-ci peuvent alors servir à interpréter un échec scolaire trop lourd à porter, à unifier une expérience scolaire trop éclatée et incertaine. Ces ressources apparaissent comme autant d'adaptations et d'ajustements au « déclin » de l'institution qui contribue à radicaliser les tensions et les conflits en plaçant les individus face à leurs propres insuffisances et pertes. À travers la mise à jour du travail entrepris par l'acteur-élève pour donner sens aux injustices vécues, on comprend comment cette expérience modifie son rapport à l'institution. L'expérience d'injustice contraint les élèves à engager un travail réflexif qui permet de supporter, de modifier et tirer parti de la situation. En ce sens, le sentiment d'injustice peut être analysé comme un espace de subjectivation, un moyen de distanciation avec l'école et le monde des adultes, une ressource qui mobilise des résistances à l'indignité.

Bien que l'expérience scolaire soit traversée par de nombreuses tensions de justice, elle nourrit une critique qui tourne « à vide » et ne permet pas une montée en généralité. De plus, la méconnaissance du ressort de l'injustice par les adultes travaillant au contact des élèves entretient un décalage et un malentendu sur le sens de l'expérience scolaire et sur la vision que ceux-ci ont de l'école. En interprétant le sentiment d'injustice uniquement comme une menace pour le maintien de l'autorité et de la hiérarchie existante, ou encore en l'essentialisant (comme étant lié à l'état d'adolescence), les adultes déplacent la signification du sentiment d'injustice et minorent les attentes de justice des élèves. Du coup, le sentiment d'injustice peut revêtir des formes plus ou moins légitimes et risquées pour l'institution scolaire. Pour finir, il est utile de resituer l'expérience de l'injustice dans le cadre des transformations récentes des modes de socialisation (Dubar, 2000). L'école socialise différemment, en dissociant fortement l'espace de l'autonomie et de la subjectivité de celui des normes et des attentes sociales. Le sentiment d'injustice participe à ce phénomène car il accentue la séparation entre l'élève et le Sujet. Il est un moteur de la socialisation dans la mesure où il permet aux jeunes de se découvrir et de devenir des personnes morales. Plus qu'une inculcation unilatérale, une intériorisation uniforme, ce sont les situations vécues et interprétées à la lumière de l'expérience personnelle qui aujourd'hui socialisent les jeunes. De ce point de vue, l'école crée encore des individus, à l'esprit et au sens critique. Cette socialisation ne repose pourtant pas que sur des expériences scolaires atomisées et diversifiés car le système scolaire, en favorisant les conditions d'émergence du sentiment d'injustice, réunit les jeunes autour d'une expérience commune dans sa structure : aussi, l'expérience d'injustice peut être un ressort positif si elle permet aux élèves de fabriquer du sens, si elle est envisagée comme un moyen de régulation et non comme une opposition frontale. Pour cela, il est nécessaire que l'institution scolaire prenne au sérieux et reconnaisse la capacité critique des élèves et leur droit de se plaindre.

Caillet V. (2006), « Sentiment d'injustice et expérience scolaire », in Obstacles et succès scolaires , M.D.Vasconcellos (dir.), Université Lille 3, 27-45.

Dubar C. (2000), La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin.

Dubet F. (2000), « L'égalité et le mérite dans l'école démocratique de masse », L'Année sociologique , Vol. 50, 2, 383-408.

Hirschman A. O. (1995), Défection et prise de parole , Paris, Fayard.

Lerner M.-J. (1986), « Le thème de la justice ou le besoin de justifier », Bulletin de psychologie , Vol. 39, n° 374, 205-210.

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