Parcours civiques : éducation, capital social et cours de la vie chez les jeunes adultes italiens
Communication de Andrea M. Maccarini pour le colloque "Déclin de l’institution ou nouveaux cadres moraux ? Sens critique, sens de la justice parmi les jeunes"
Département de Sociologie, Université de Padova
La recherche que je présente concerne la relation entre le “capital social” des jeunes adultes dans le Nord-Est de l'Italie et leur parcours biographique entre les réseaux éducatifs de type formel et informel. En bref, j'ai posé les questions suivantes : parmi les expériences formatives de l'identité personnelle et sociale des sujets, quelles sont les plus importantes, dans quel sens et dans quelle mesure ? De quelle façon fonctionnent-elles et à quelles conditions pour doter les individus de capital social (dans un sens qui est plus proche de Putnam que de Bourdieu ou Coleman) et de la capacité à le régénérer ? Ces questions sont posées en particulier à propos des processus et des institutions éducatives. De quelle façon et dans quel aspect ces expériences formatives sont-elles actives et efficaces ? De plus : quel est le résultat en termes de valeurs civiques et sociales manifestées par les jeunes adultes ? Ma recherche a cherché une réponse à ces questions grâce à des entretiens biographiques avec de “jeunes adultes” (25-35 ans), conduits dans les régions du Nord-Est de l'Italie, dans le cadre d'un échantillon national qui a fourni l'horizon des informations fondamentales.
Pour bien comprendre le sens de tout cela, il est utile de considérer le thème dans une perspective plus générale.
On sait bien que la modernité a attribué aux institutions scolaires le but de former des citoyens, c'est-à-dire des individus dotés d'une culture et de valeurs sociales positives, de confiance dans les autres et dans les institutions et capables d'un engagement civique concret. La conscience de la crise et du déclin de leur capacité de socialisation/éducation est également très forte et diffuse.
Cette crise peut être observée sous trois angles différents, bien qu'étroitement liés : en tant que crise de l'efficacité institutionnelle, de la différentiation fonctionnelle et de la légitimation de l'éducation.
• Dans le premier domaine, l'école italienne traverse actuellement une période de tensions très fortes. Les nombreux cas de violence, la diffusion de plus en plus grave de la drogue et d'un vide éducatif prononcé, un malaise généralisé de toutes les parties intéressées ( stakeholders ) à l'éducation ont plongé l'opinion publique dans un état de pessimisme et de profonde inquiétude sur ses capacités éducatives et socialisatrices. Les récentes campagnes de presse mettent en évidence et construisent bien sûr en même temps une certaine représentation du niveau d'alarme sociale atteint en ce domaine.
En même temps, sur le plan analytique, il est difficile de trouver des données empiriques assez systématiques et univoques sur l'efficacité des institutions scolaires. Par exemple, on ne sait pas grand-chose des différents effets sur le civisme/civilité des élèves de (i) secteurs différents (lycées ou instituts de formation professionnelle, écoles de l'État ou écoles catholiques ou d'autres confessions religieuses, etc.) ou (ii) de leur traits caractéristiques (organisation, identité, structure d'interaction, approche pédagogique).
2) En outre, le débat public sur ces arguments aboutit à une révélation dramatique de ce que la sociologie avait déjà compris il y a longtemps : c'est-à-dire, que l'école ne peut plus être considérée comme le centre symbolique et pratique de toute éducation. On est bien plus sceptique – dans le domaine des pratiques et politiques d'éducation, sinon dans le domaine théorique – quand on doit préciser ce qui pourrait se substituer à cette centralité perdue et comment. Les liens sociaux et la cohérence des politiques font l'objet d'une mise en cause radicale.
3) Enfin, les idées sur ce qu'il faudrait faire pour sortir de la crise non plus ne sont pas toujours partagées. D'un côté, l'école semble être très riche en communication morale ; les messages moralement connotés semblent nombreux. Mais les principes fondamentaux de l'éducation, ses valeurs et les formules symboliques de sa légitimation font cependant face à l'incertitude et à une certaine fluctuation. Et les comportements des élèves et de leurs familles ou des professeurs tendent souvent vers un cynisme étonnant. Le cas récent de la “lettre de Catania”, que la presse et la télévision ont rendue célèbre, est exemplaire de cette situation : les élèves d'un lycée ont écrit à leurs professeurs pour demander leur aide face à un vide qu'il ressentent dans leur expérience éducative et dans leur vie quotidienne. Les professeurs ont réagi : ils n'ont pas et ils ne doivent pas donner de “réponses” ; tout ce qu'ils peuvent et doivent faire est de susciter chez les élèves la capacité de se poser des questions et le “sens critique”.
Telle est la situation prise au sérieux par la recherche et qui en explique l'inspiration.
D'un côté, on a considéré les jeunes adultes, pour voir si le message éducatif “résiste” au moment de la transition, quand ils sortent de la carrière éducative et sont confrontés aux institutions complexes de la “vie adulte” en général. Le problème est d'autant plus important que la recherche concerne une génération souvent considérée comme incapable d'assumer ses responsabilités personnelles et sociales d'élaborer son projet de vie (voir par exemple le phénomène de la “famille longue” du jeune adulte).
De l'autre, la recherche tente de mettre en relief si es jeunes adultes maintiennent, face à la “vie sérieuse”, une idée, éthiquement qualifiée et non totalement désenchantée (“ entzaubert ” pourrait-on dire) de la vie sociale ; si oui, quelles sont alors les valeurs sociales et les engagements concrets qu'ils assument. Quel sens donnent-ils à ces valeurs fondamentales, quelles sont les valeurs qu'ils jugent prioritaires et dans quels lieux et forme pensent-ils qu'il est possible (ou impossible) de les vivre dans leur expérience quotidienne.
Enfin, la recherche s'intéresse à l'approche de la formation tout au long de la vie. Elle porte donc son attention non seulement sur l'école, mais sur la biographie éducative des individus et sur le parcours qu'il font entre lieux, influences et expériences (qu'ils considèrent) comme “formatives” de leur identité. On a donc supposé que les lieux et parcours d'éducation étaient en évolution et qu'il n'était plus possible de donner pour sûr ni le “si” ni le “où” ni le “comment” se fait la transmission du capital social et d'une culture civile entre les générations. Il s'agit donc d'identifier les lieux, les acteurs et les mécanismes du civisme/civilité dans la génération des jeunes adultes, les points forts et les faiblesses de la transmission entre les générations et de mettre en lumière les traits principaux des processus culturels en cours.
L'horizon, dont j'espère que ma recherche le rendra plus clair et plus activement praticable comprend la construction et la “rationalisation” –dans un sens tout à fait “non instrumental”– de réseaux éducatifs complexes et la mobilisation des ressources sociales et culturelles “civiles” présentes dans l'espace éducatif, souvent inexploré, de sujets eux-mêmes de plus en plus complexe.