Développement et débat autour du modèle de collège unique en République Tchèque et dans d'autres pays d'Europe centrale et orientale
Communication de David Greger
Charles University in Prague
David Greger, Ph.D.
Institute for Research and Development of Education
Charles University in Prague, Faculty of Education
Myslikova 7, Prague 1
110 00 Czech Republic
Courriel
Dans le cadre international de la table ronde sur l'analyse des différents modèles de collèges uniques, on m'a demandé d'orienter ma contribution sur la situation dans les pays de Visegrad (République Tchèque, Slovaquie, Hongrie et Pologne), pays dits de transition d'Europe centrale et orientale. Ils partagent de nombreux points communs sur le plan historique et culturel :
• au niveau culturel, ils appartiennent à la tradition de chrétienté latine ;
• leurs systèmes éducatifs ont été fondés et influencés par la législation de la monarchie austro-hongroise ;
• ils ont traversé la période sombre du régime communiste totalitaire caractérisé par une isolation politique et culturelle et l'orientation unilatérale décidée par Moscou ;
• l'effondrement du régime communiste a permis d'opérer une large transformation de ces sociétés où les réformes éducatives de grande ampleur ont fait partie intégrante de ce processus de transformation.
Dans cet article, je retracerai d'abord les grandes lignes de cette volonté de créer le collège unique en Tchécoslovaquie sans occulter les débats qui l'ont entourée. J'exposerai ensuite le statut actuel du système éducatif tchèque, système très sélectif qui ressemble beaucoup aux systèmes éducatifs slovaques et hongrois. Le système éducatif polonais quant à lui vient d'être remanié et se rapproche du collège unique. En conclusion, j'essayerai de résumer les arguments principaux des partisans et des adversaires du collège unique.
Cet article concerne uniquement les établissements secondaires du premier degré (de 11 à 15/16 ans), même si récemment les débats autour du collège unique et de l'équité des systèmes éducatifs concernent également le second degré et l'accès à l'enseignement supérieur (notamment tertiaire). Dans de nombreux pays, l'enseignement dans le second degré se caractérise par trois types d'établissements différents : des lycées d'enseignement général, technologique et professionnel. Cette structure est profondément ancrée dans les pays de l'U.E. alors que la filière professionnelle prédominait dans les pays socialistes. La répartition des élèves dans les différentes filières du second degré présente un intérêt particulier pour les chercheurs qui explorent les domaines de l'équité et de la stratification sociale ainsi que la transition du secondaire à l'enseignement supérieur. Ces questions ne sont cependant pas l'objet de la table ronde.
- Construction et déconstruction du collège unique en Tchécoslovaquie de 1945 à 1989
Comme l'indique le thème de cette table ronde, l'OCDE était porteur dans les années 1960 d'un modèle de collège unique qui devait catalyser le progrès économique et social des nations. Je dois néanmoins remonter quelques années en arrière car à cette époque le système éducatif tchèque avait déjà mis sur pied un modèle de collège unique depuis longtemps. Le grand débat autour de la mise en place du collège unique en Tchécoslovaquie a eu lieu dans l'immédiat après-guerre, plus particulièrement de 1945 à 1948. La période suivante de 1948 à 1989 fut largement influencée par les événements cataclysmiques de février 1948 lorsque le Parti communiste prit le pouvoir et administra aussi le secteur éducatif.
Le système éducatif tchécoslovaque, à quelques changements près, était l'héritier du 19ème siècle quand la scolarité obligatoire avait été portée à huit ans suite à la loi sur l'école de 1869. L'enseignement était assuré dans une obecná škola , école communale et publique pour les enfants de 6 à 11 ans. Après cinq ans d'école communale, ils avaient le choix entre trois filières :
- 3 ans supplémentaires à l'école communale. C'était une voie de garage parce que suivre toute sa scolarité (huit ans) à l'école communale ne permettait pas aux élèves de poursuivre leurs études dans le second degré ;
- l'entrée dans une mĕšt'anská škola (école municipale). Il devait y en avoir au moins une dans chaque secteur scolaire. Elles dispensaient un enseignement de meilleur qualité que celui proposé par les écoles communales. Ces établissements autorisaient la poursuite d'études dans certains établissements du second degré ;
- l'entrée dans un établissement secondaire, soit dans une reálna škola (établissement secondaire technique, l'équivalent de la realschule en Allemagne) en 7 ans soit dans un gymnázium ( lycée d'enseignement général) en 8 ans.
Ce système éducatif par filières séparées et parallèles pour les élèves de 11 à 15 ans faisait déjà l'objet de critiques de la part de nombreux éducateurs dans l'entre-deux-guerres en raison de son caractère élitiste et peu démocratique. Le fer de lance de ces critiques était le professeur Vaclav Příhoda, disciple de J. Dewey. Il critiquait la ségrégation au sein du système éducatif et son manque de justice sociale et exigeait notamment du dit système qu'il parvînt à l'égalité des chances éducatives, à comprendre selon lui comme l'égalité de conditions ou de traitement 1. Il observa que les collèges plus sélectifs ( gymnázia et reálná škola ) scolarisaient surtout des élèves issus de milieux culturels et éducatifs plus aisés. Ces élèves étaient mieux instruits parce que les établissements avaient des professeurs eux-mêmes mieux instruits, bénéficiaient de plus de moyens financiers et matériels. Il souligna également que les élèves des écoles communales et municipales n'avaient en réalité pas accès à des niveaux supérieurs d'enseignement. Les critiques à l'encontre de l'enseignement ségrégué sont bien documentées et largement explicitées dans nombre de ses travaux. Il était à la pointe du mouvement en faveur de la gratuité, de la réforme et de la restructuration du système éducatif. Les partisans de ce mouvement exigeaient l'abolition des filières parallèles et leur remplacement par des collèges uniques où les élèves recevraient tous la même qualité d'enseignement. Ils ont alors développé l'idée de collège unique et ont vérifié la possibilité de sa mise en place au cours de plusieurs expérimentations dans des établissements dans les années 20 et 30. Malheureusement la deuxième guerre mondiale mit un terme à cette évolution encourageante. Cependant les débats autour du collège unique reprirent dès 1945. La mise en place et le développement du collège unique furent parmi les priorités définies lors du congrès des enseignants à Prague en 1945. A cette époque, V. Příhoda a été nommé conseiller par le ministre de l'Enseignement dans le cadre de la réforme scolaire en vue de la mise en place du collège unique. Cette année-là, il publia également un livre intitulé « The Idea of Comprehensive Lower-Secondary School » dans lequel il résumait les propositions de réforme dans ses fondements théoriques, philosophiques et dans ses dimensions pratiques. Dans ce livre, il abordait quelques objections soulevées par les opposants au collège unique. L'objection la plus souvent formulée concernait la baisse de la qualité de l'enseignement liée à l'introduction du collège unique. Ses adversaires se trouvaient parmi les enseignants des établissements secondaires et la plupart des parents instruits. Le porte-parole des enseignants du secondaire R. Mertlik exprima le point de vue des opposants dans son livre « The Danger of Comprehensive School » (voir Mertlik 1947) dans lequel il affirme que la qualité de l'enseignement au sein du collège unique sera encore inférieure à celle des écoles municipales. Il souhaite pérenniser les gymnázia et les reálná škola et appelle même de ses voeux une sélection accrue à l'entrée dans ces établissements 2. Il affirme que sur 40 élèves dans le secondaire, seuls 15 à 20 sont assez intelligents pour satisfaire les exigences scolaires de ces établissements ; le reste des élèves (il les traite de manière inconvenante de « débris ») accroît la difficulté du métier d'enseignant et retire tout plaisir à l'enseignement. Ce genre d'objections est purement élitiste et découle de la croyance que le rôle de l'école est de créer une élite très cultivée, synonyme d'élévation et de progrès économique pour toute la nation. Les enseignants estimaient que l'introduction du collège unique nuirait aux élèves doués sans bénéficier réellement au reste des élèves et serait source de médiocrité.
V. Příhoda et d'autres partisans du collège unique étaient conscients de ces critiques auxquelles ils ont répondu de deux manières. Ils ont tout d'abord souligné les aspects sociaux du collège unique, notamment le rôle qu'il avait à jouer dans le renforcement de la cohésion sociale et les intérêts moraux de l'équité. Ils ont ensuite abordé les objections concernant la baisse de la qualité de l'enseignement. V. Příhoda proposait un modèle de collège unique qui ferait la part belle à la pédagogie différenciée au sein des établissements. Il se montrait critique envers le modèle - jugé inefficace - qui divisait les élèves en sous-groupes suivant leur intelligence (haute / moyenne / basse) et prodiguait un enseignement séparé dans toutes les matières. En lieu et place de cette ségrégation, il proposait un modèle de collège unique où les élèves seraient répartis dans divers groupes suivant leurs capacités dans chaque matière. Chaque élève pouvait donc faire partie de groupes différents suivant les matières. Si l'élève échouait dans une matière, il n'aurait pas à repasser toutes les matières enseignées pendant l'année mais seulement la (les) matière(s) où il avait échoué. Ce type d'organisation scolaire est très difficile à mettre en place sur le plan administratif et exige une gestion du temps et de l'établissement très sophistiquée. V. Příhoda, conscient de ces contraintes, suggéra de limiter à cinq le nombre de mêmes matières enseignées en même temps. Chaque jour, tous les élèves d'un même niveau ont cours dans la même matière en même temps, ce qui permettrait aux élèves de suivre chaque matière dans tel ou tel groupe selon ses capacités dans la dite matière. Ce type d'organisation différenciée fut testé dans divers établissements pilotes. Parmi les autres défenseurs du collège unique figurait B. Bydžovsky, recteur de l'université Charles. Il proposa une version légèrement différente de différenciation réalisée au sein de chaque classe : l'enseignant pourrait diviser les élèves dans chaque matière en différents groupes suivant leurs capacités. Il avait confiance en l'aptitude des enseignants à varier le contenu ainsi que la pédagogie en fonction du public et des besoins hétérogènes. Il insista donc sur l'importance de la qualité de la formation initiale et continue des enseignants.
En résumé, un consensus se dégagea suite aux discussions sur le collège unique entre 1945 et 1948. Cependant, la question de savoir comment optimiser le potentiel de chaque élève au sein d'un public aussi divers restait entière. On se mit d'accord sur le fait que le collège unique devait être adapté en interne. Ses adversaires représentaient des groupes qui défendaient des droits acquis, à savoir les enseignants du secondaire, les principaux ainsi que les parents à fort capital social et culturel. Si ces derniers mettaient en garde contre une baisse de la qualité de l'enseignement, les partisans du collège unique mettaient en avant ses avantages sociaux du collège unique et faisaient valoir que la pédagogie différenciée adaptée aux besoins de chaque élève élèverait le niveau moyen et la qualité de l'éducation de toute la nation.
Suite à ce débat, le ministre de l'Education aidé de V. Příhoda rédigea le projet de loi sur la réforme de l'école en 1945. Cependant ce projet de loi fut très controversé car il prévoyait non seulement la mise en place du collège unique mais aussi la fin de l'administration des établissements par l'Eglise. Cette proposition, pierre d'achoppement de la loi, explique pourquoi le projet de loi dut attendre 1948 avant d'être votée. L'Eglise catholique ainsi que d'autres églises étaient à l'avant-garde de la contestation et pointaient l'irrecevabilité de ce projet de loi par rapport à la Constitution.
Le Parti communiste vota néanmoins la loi sur la réforme scolaire en 1948 peu de temps après sa prise de pouvoir et l'instauration d'un régime totalitaire. Le secteur éducatif était leur chasse gardée ; il n'y avait donc aucune place pour le débat et la gestion de la politique éducative à cette époque.
La loi d'avril 1948 sur le collège unique, qui jetait les bases de l'éducation pour tous, nationalisait le système éducatif dans son ensemble et éliminait l'influence de l'Eglise. La scolarité obligatoire durait neuf ans, s'adressait à tous et était gratuite. L'enseignement élémentaire était précédé de la mateřská škola (école maternelle), facultative. Après l'enseignement élémentaire, divisé en niveaux 1 et 2 (le 2ème niveau remplaçait la structure ségréguée antérieure avec ses trois filières séparées), on trouvait des gymnázia (l'équivalent de nos lycées d'enseignement général) et des odborné školy (établissements technologiques et professionnels) et enfin des établissements d'enseignement supérieur.
La période suivante se caractérise comme suit selon Prucha et Walterova (1992) : « Depuis 1948, le système éducatif tchécoslovaque a connu plusieurs réformes et de nombreuses mutations. Sous l'emprise du comité central du Parti communiste, elles étaient malheureusement davantage motivées par des décisions politiques et administratives que par la recherche raisonnable du meilleur modèle éducatif possible. Par conséquent le concept progressiste de collège unique fut petit à petit abandonné. L'école fut centralisée et unifiée. Elle faisait fi des croyances, intérêts, potentialités des différents élèves et professeurs. L'intolérance vis-à-vis de toute autre réflexion ou sensibilité, notamment la sensibilité religieuse sapa le cadre démocratique et humaniste des établissements. La philosophie utilitariste du marxisme-léninisme, la morale communiste, le collectivisme, la lutte des classes et la discipline fondée sur la subordination de l'homme furent appliquées. »
Les années 60 font figure d'exception au cours de cette « période sombre » marquée par un régime totalitaire. En effet, à mesure que les peurs se dissipaient, les libertés politiques et artistiques augmentaient. Ce fut aussi l'époque où la question du collège unique socialiste unifié a été de nouveau ouvertement abordée. Même le Parti communiste reconnaissait que l'idée originelle du collège unique à pédagogie différenciée avait été déformée et avait entraîné une baisse de la qualité de l'enseignement (résolution du Parti communiste tchèque du 22 octobre 1964). M. Cipro (1966), éducateur, contestait la façon uniforme d'enseigner sans prendre en compte l'hétérogénéité du public scolaire. Il revint sur les pratiques très ségréguées avant 1948 quand les élèves étaient orientés dans trois filières différentes. Selon lui, ce type de différenciation posait deux problèmes : d'abord la sélection s'effectuait très tôt , à 11 ans, au moment où les élèves étaient en plein développement psychologique. Ensuite cette sélection s'opérait dans un cadre rigide et irréversible . A partir de cette critique, il proposa plusieurs expériences de pédagogie différenciée qui furent testées dans 4 établissements pilotes en classes de 3 ème : 1) enseignement des mathématiques et de la langue maternelle par groupes de niveau dans ces matières ; 2) création de groupes-classes suivant les aptitudes des élèves dans toutes les matières. Il recommandait également l'introduction de cours facultatifs en 5 ème et 4 ème ainsi que la répartition des élèves par groupes de niveau dans les classes hétérogènes. Cependant, après l'invasion des chars russes le 21 août 1968, la pédagogie différenciée introduite en 3 ème a été abolie. La crédibilité sociale et le statut culturel de l'éducation furent davantage ternis, notamment suite à la dernière réforme éducative de 1976. Les mesures les plus régressives furent alors prises. Par conséquent, l'écart par rapport aux autres pays développés ne fit que s'accroître.
Pour avoir une description plus détaillée et approfondie des débats sur le collège unique et son développement sur un plan historique, voir Vorlíček (2004) et Walterová (2004).
- Négation du collège unique et mise en place d'une sélection précoce dans le système éducatif tchèque après 1989
Dans son ensemble, le système éducatif tchèque étai comparable aux autres pays de la C.E.E. L'école élémentaire pour tous était au coeur du projet éducatif du Parti communiste. L'école n'était pas seulement unique parce qu'elle rassemblait tous les élèves de 6 à 14 ans mais aussi parce qu'elle proposait le même contenu et les mêmes méthodes quelque que fussent les différences individuelles. La rupture avec l'héritage communiste après 1989 a été radicale et la transition du système éducatif brutale d'autant plus qu'en Tchécoslovaquie, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays de la C.E.E. dans les années 1980, le régime communiste n'a jamais déserré son étau ni assoupli son modèle éducatif unitaire. Le processus de réforme scolaire s'est fait surtout de façon spontanée, notamment entre 1989 et 1994, et a été l'aboutissement d'un processus pyramidal. La tendance à « nier le passé et à rétablir le statu quo ante » a perduré, surtout dans les cercles politiques et universitaires. Un manque de connaissances approfondies des évolutions occidentales et mondiales des politiques éducatives et une absence de perspectives à long terme sur le développement de l'éducation démocratique ont accompagné cette tendance. L'objectif des réformes fut de corriger immédiatement les défauts de l'enseignement mis en place par le régime totalitaire et de rétablir les conditions du système éducatif tchèque tel qu'il était dans la Tchécoslovaquie d'avant-guerre. L'un des exemples les plus marquants de ce processus de transformation fut le rétablissement des gymnázia (établissements secondaires d'enseignement général) qui fonctionnaient par sélection précoce des enfants à haut capital culturel. Il s'agissait surtout, dans le cadre des réformes de 1989, de déconstruire (voire de détruire) le collège unique d'obédience communiste. Ce fut une réussite de ce point de vue. Le système éducatif en République Tchèque et son développement ultérieur comprenaient donc des filières sélectives. La structure du système éducatif était la suivante :
un enseignement élémentaire et secondaire obligatoire (primaire et collège) dès l'âge de 6 ans (à l'exception des élèves qui manquaient de maturité) dispensé dans deux types d'établissements : des écoles élémentaires et des gymnázia . Tandis que la première phase (l'école primaire) couvre les cinq premières années de scolarité obligatoire et s'adresse à tous les élèves de chaque classe d'âge (à l'exception d'une petite proportion d'enfants handicapés), la seconde phase (le collège) concerne les élèves de 11-15 ans et s'appuie sur une répartition par filières : la première concerne les 4 dernières années de l'enseignement élémentaire, la deuxième constitue les 4 premières années d'un cursus en 8 ans au sein d'un gymnázium et la troisième marque les 2 premières années d'un cursus en 6 ans également dans un gymnázium . (Les établissements secondaires généraux dispensent aussi des formations en 4 ans en lycée). Dans l'enseignement élémentaire, le passage des élèves de la primaire au collège est automatique. En revanche, l'admission dans des cursus de 6 ou 8 ans dispensés dans des gymnázia s'opère à partir d'examens sélectifs oraux et écrits conçus par les enseignants de ces établissements (normalement dans la langue maternelle et en mathématiques) et, parfois, à partir de tests d'intelligence. La décision concernant l'admission est prise par le principal du gymnázium , par ailleurs fonctionnaire, qui se fonde sur les résultats aux examens, critère principal de sélection. Le nombre d'admis est décidé par l'administration de l'établissement (environ 10% d'une classe d'âge) et varie de 6 à 14% suivant les régions. La moyenne nationale en 2002/2003 était de 8,5%. Le nombre de candidats à l'entrée dans des gymnázia en 6 ou 8 ans est deux fois supérieur au nombre d'admis. Ces gymnázia en 6 ou 8 ans, en vigueur jusqu'en 1948, ont été rétablis par un amendement à la Loi sur l'éducation de 1990. Il s'agissait de dispenser un enseignement plus exigeant qui faciliterait la poursuite d'études universitaires pour des élèves de 11 ans qui faisaient preuve de capacités cognitives supérieures à la moyenne. Comme l'ont maintes fois montré les rapports de l'Inspection générale tchèque, la ségrégation des élèves plus doués par rapport aux autres élèves a entraîné une baisse progressive du niveau des processus pédagogiques et des résultats scolaires des élèves moins favorisés. Les examinateurs de l'OCDE (voir OCDE 1996) ont recommandé la mise en place du collège unique, solution qui n'a pas été retenue par le ministre de l'Education. En 2001, le gouvernement , dans un Livre Blanc, a réitéré son souhait de voir les deux filières progressivement fusionnées et d'opérer la différenciation en interne dans le cadre de l'enseignement élémentaire. Il s'inscrivait donc dans le cadre des discussions de 1945-1948 puis des années 1960 sur les moyens et les possibilités de différencier la pédagogie dans le cadre du collège unique. L'inscription de cette recommandation dans le nouveau projet de loi sur l'éducation se fit sous la forme d'un retrait progressif des premières années des gymnázia . Le débat public qui s'ensuivit fut dominé par l'exigence des parents plus éduqués et au statut socio-économique plus élevé de maintenir un enseignement exigeant pour leurs enfants. La pression exercée, par média interposés, par les parents, les directeurs des gymnázia , les enseignants et les universitaires, sans parler de leur influence politique, a bloqué cette réforme et explique en partie pourquoi le projet de loi a été rejeté dans son ensemble en 2001. Ils reprochaient aux tenants du collège unique leurs penchants gauchistes et communistes, les taxant d' « ingénieurs sociaux » désireux de priver les parents du droit de choisir l'école de leurs enfants. Le débat fut plus fondé sur l'émotion que sur l'analyse et les arguments scolaires. La sélection par filières a été préservée et fait l'objet de critiques répétées des chercheurs qui s'appuient sur des programmes de recherche internationaux tels que PISA. Puisque l'abolition des gymnázia n'était pas envisageable au plan politique, seuls des changements modérés ont été introduits dans le nouveau projet de loi sur l'éducation à travers une plus grande convergence de ces deux filières dans le 1er degré.
Le nouveau projet de loi voté en 2004 propose un compromis provisoire en ce sens qu'il ne subsistera qu'un document programmatique pour les deux cursus parallèles au collège : un programme cadre (en cours de révision) pour l'enseignement élémentaire qui servira de socle à la mise en place de programmes éducatifs scolaires autant pour les écoles élémentaires que pour les gymnázia (en six et huit ans). Par ailleurs, les périodes d'enseignement pour les écoles élémentaires devraient progressivement se rapprocher puis égaler en nombre celles des gymnázia . Le salaire des enseignants dans ces deux types d'établissements est désormais identique. Le numerus clausus ( environ 10% des élèves de 11 ans) a néanmoins été maintenu ainsi que les procédures d'admission par sélection dans les gymnázia , qui défavorisent les enfants à moindre capital culturel, comme les résultats des tests d'alphabétisation PISA en République Tchèque l'ont montré.
La législation tchèque prévoit l'instauration d'établissements et de classes à profils spécifiques qui dispensent un enseignement renforcé dans certaines disciplines : langues étrangères, éducation physique et sportive, mathématiques, S.V.T., musique, arts visuels et informatique. Ce type d'établisssement constitue une autre forme de filière sélective. Ce cursus spécialisé démarre à partir de la 3ème année (8 ans) pour les langues ou de la 6ème année pour les autres matières. La proportion d'élèves qui suivent leur scolarité dans ce genre d'établissement par rapport au nombre total d'élèves dans le primaire est de 9,7% (4,4% en enseignement de langues renforcées, 2,5% en E.P.S. et 1,2% en mathématiques et en S.V.T.) Les parents portent un intérêt particulier pour l'enseignement renforcé dans certaines matières, notamment les langues et le sport (la demande est deux fois supérieure au nombre de places disponibles). Ils espèrent ainsi que leurs enfants obtiendront de meilleurs résultats que dans d'autres établissements élémentaires. L'admission dans ce type d'établissement élémentaire est également à la discrétion des directeurs qui prennent leur décision au vu des résultats aux examens internes d'entrée que les élèves passent à 8 ou 11 ans. Là aussi, les élèves issus de familles à fort capital culturel sont dans une situation plus favorable.
En Slovaquie, la structure du système éducatif est similaire en raison d'une politique éducative identique jusqu'en 1992. L'incompatibilité des dirigeants des deux républiques mise en exergue lors des élections de 1992 entraîna la séparation inévitable de l'Etat tchécoslovaque et l'émergence de deux états indépendants : la République Tchèque et la Slovaquie à partir du 1er janvier 1993. Le système hongrois, très similaire, se caractérise aussi par une sélection précoce. Les élèves sont orientés dans différentes filières dès l'âge de 11 ans (en République Tchèque, la sélection initiale a lieu dès 8 ans, comme décrit ci-dessus). Dans ces systèmes éducatifs sélectifs, les débouchés scolaires dépendent largement du milieu social des élèves et des grandes disparités entre les différentes institutions. Pour illustrer le débat (ou plutôt le manque de débat ouvert sur l'école) et les similitudes de structure entre les systèmes éducatifs hongrois et tchèque, citons les auteurs du rapport sur la Demande Scolaire en Hongrie rédigé pour l'OCDE (voir Lanet-Gyorgy et Vago 2004, p. 52) :
« Bien que les responsables nationaux de l'éducation, sous un gouvernement conservateur puis libéral, aient tenté de réduire les disparités au collège - sélection précoce et baisse de l'égalité des chances - ils n'ont pu ni interdire ni réduire la répartition par filières en raison des exigences explicites des parents les plus influents. L'enseignement secondaire en six ou huit ans qui donne accès à l'enseignement supérieur en 2 ou 4 années de plus qu'un établissement secondaire normal était déterminant jusqu'au milieu des années 1990 où seuls 10% d'une classe d'âge donnée faisaient des études supérieures. Maintenant que 50% d'une classe d'âge entrent à l'université ou dans un établissement d'enseignement supérieur, la sélection précoce et draconienne ne se justifie plus, même si le ratio de ceux admis en enseignement supérieur est toujours plus élevé pour les élèves inscrits dans des établissements sélectifs en 6 ou 8 ans. Désormais, les parents envoient leurs enfants dans ces établissements où, en raison de la forte sélection, ils peuvent apprendre parmi des élèves plus motivés, dotés de plus grandes capacités et issus de milieux familiaux favorisés et où les problèmes de comportement sont moins graves et les problèmes de drogue moins fréquents. » Anna Sliwka explique le frein principal à l'équité lors de l'application des réformes éducatives : « En ce qui concerne les problèmes d'équité, les renseignements à notre disposition doivent être mis en parallèle avec les donnés qui relèvent combien les ambitions privées des parents influencent les choix qu'ils font pour leurs enfants. Il est intéressant d'observer que dans tous les pays, même en Finlande ou au Danemark où la justice en éducation est traditionnellement forte, les exigences des parents quant à la scolarité de leurs enfants diffèrent de leurs déclarations plus générales sur la justice sociale. Cela montre la difficulté de convaincre les parents de classes moyennes de l'intérêt des réformes éducatives s'ils estiment qu'elles risquent de désavantager leurs propres enfants. » Même si cette affirmation est valable pour la plupart des systèmes éducatifs, j'ajouterai qu'elle s'applique tout particulièrement aux pays membres de l'U.E. comme le révèlent les discussions sur le collège unique.
Seule la Pologne se distingue des autres pays de Visegrad par un système éducatif différent qui se rapproche du collège unique. Ils n'ont qu'un seul dispositif au collège, le gimnazjum . Le système éducatif polonais se décompose ainsi : 6 années de primaire ( szkola podstawowa ) de 6 à 12 ans, puis 3 années de collège ( gimnazjum ) de 12 à 15 ans et enfin 3 années de lycée ( liceum ) ou 2 années dans un lycée professionnel ( szkola zawodowa ) sans passer l'examen de fin d'études secondaires ( Matura ). Les raisons pour lesquelles le système éducatif polonais a suivi une autre voie que les trois autres pays de Visegrad méritent une analyse plus poussée. Le débat public en Pologne autour de cette question serait aussi très instructif ici.
Conclusion
Les discussions quant aux avantages et inconvénients du collège unique en Tchécoslovaquie ont été les plus fécondes entre 1945 et 1948. Les arguments portaient sur l'équité et la nécessité d'un enseignement de qualité. Depuis les années 1960, l'OCDE estime que le collège unique est la structure efficace pour aboutir aux objectifs d'équité et de haut niveau d'éducation. Même si cette structure est la plus répandue et recueille le soutien de nombreux chercheurs dans les pays développés (voir par exemple Demeuse et al. 2001), elle fait toujours débat. Le concept d'équité est terni, notamment dans les pays de l'U.E. par l'expérience malheureuse de l'uniformité bureaucratique et du collectivisme dans l'enseignement pendant la période socialiste. L'équité serait contradictoire avec la notion de capacités intellectuelles selon laquelle seule une petite proportion d'élèves (environ 15%) est jugée capable de poursuivre de hautes études. Selon les tenants de ce point de vue erroné, le collège unique entraînerait une baisse du niveau. Dans les pays membres de l'OCDE, cette notion étriquée de capacités a été abandonnée dès le milieu des années 1960, époque où elle est apparue simpliste et scientifiquement intenable. De nombreux sondages indiquent que récemment, des progrès ont été accomplis par la société tchèque dans la perception de la justice au sein du système éducatif (e.g. 64% des personnes intérrogées estiment que tous les enfants, sans distinction de talent, d'aptitudes ou de milieu social doivent être éduqués ensemble aussi longtemps que possible. Pour une analyse complète de tous ces résultats, voir Kotasek-Greger-Prochazkova 2004).
La question cruciale qui appelle une réponse et une solution (la solution apportée est d'ailleurs différente selon les différents modèles de collège unique en Europe) est de savoir comment différencier l'instruction de l'éducation, ce qui expliquerait de façon appropriée les différences d'aptitudes des élèves et leurs intérêts. La réponse à cette question est nécessaire à la mise en place du collège unique.
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1 Pour éclairer la distinction théorique entre les conceptions élémentaires de l'équité ou de l'égalité des chances en éducation définie comme l'égalité d'accès, l'égalité de traitement ou des conditions et enfin l'égalité de résultats, voir les travaux de Grisay 1984, OECD 1993, Demeuse et al. 2001, EC 2003, Greger 2004.
2 Les taux d'inscription des élèves de 11 à 14 ans dans les différents types d'établissements en 1946 éclairent leur sélectivité : écoles communales 5,5%, écoles municipales 83,5%, collèges ( gymn á zia , reálná škola ) 11%.