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Les recompositions paradoxales de l’Etat sanitaire français - Entre transnationalisation, européanisation et individualisation

Par Florent BickDernière modification 04/11/2010 15:26

PIERRU Frédéric

CNRS – IRISSO – Paris Dauphine

Les recompositions paradoxales de l’Etat sanitaire français

Entre transnationalisation, européanisation et individualisation

De récents travaux de sciences politiques et sociales ont bien mis en évidence la dialectique de la fermeture et de l’ouverture des espaces dans lesquels se déploient les solidarités sociales, en particulier en matière de santé : si les moments de fondation puis de refondation – ou de « réforme » - des systèmes de santé ont été contemporains de processus d’extraversion croissante des « décideurs » publics, leur expansion a plutôt coïncidé, à l’inverse, avec une dynamique de fermeture dans les limites du cadre national. Ainsi, à la fin de la seconde guerre mondiale, les fondateurs des systèmes « modernes » de protection maladie tournent leurs regards Outre-Manche et Outre-Rhin, soupesant les avantages et les bénéfices des « modèles » bismarckien et beveridgien au regard des configurations sociopolitiques auxquelles ils s’affrontent. Cependant, une fois ces choix institutionnels opérés, l’expansion des systèmes de santé se réalise selon une trajectoire nationale singulière de plus en plus « verrouillée » par des phénomènes de dépendance au sentier (path dependence). L’âge d’or de l’Etat providence est aussi celui de la fermeture nationale des débats et des orientations de politique publique. De façon symptomatique, en France, l’amélioration et la généralisation des prestations maladie se font dans le registre du droit, et plus précisément des droits créances, les principaux responsables de la Sécurité sociale étant des juristes issus du Conseil d’Etat. La complexité, voire l’aspect baroque, du droit de la Sécurité sociale incite les acteurs et les experts à considérer que le système de santé français est difficilement comparable avec ses homologues étrangers. A cette époque, les systèmes de santé sont vus comme la manifestation de « génies » et des compromis sociopolitiques nationaux. Les années 1980 et 1990 voient cette superposition du social et du national remise en question. Confrontés à un certain nombre d’anomalies persistantes (déficits financiers, scandales de santé publique, etc.), les hauts-fonctionnaires et, à leur suite, quelques décideurs politiques, commencent à décentrer leur regard et à porter de l’intérêt aux recettes inventées et mises en œuvre dans d’autres contextes nationaux. L’investissement d’organisations internationales (OCDE, Banque mondiale) ou supranationales (Union Européenne) dans le secteur de la santé et la structuration de réseaux transnationaux d’experts et de chercheurs contribuent à banaliser un peu plus le réflexe comparatiste. L’on assiste alors à un travail indissociablement savant et politique de « mise en comparaison » des systèmes nationaux de santé, ainsi arrachés à leurs limites et singularités nationales par des modélisations de science économique ou de santé publique. Ce mouvement d’extraversion s’accompagne, en effet, de la mise en circulation de nouveaux savoirs de gouvernements.

La communication montre, dans un second temps, comment, dans le cas de la France, le mouvement – qui démarre dans les années 1970 – de renforcement des capacités d’action de l’Etat (State capacities) dans un secteur traditionnellement considéré comme sous-administré, s’effectue « au miroir » d’expériences étrangères, notamment étasuniennes, et sur la base de nouveaux savoirs de gouvernement inventés dans d’autres espaces nationaux. L’affirmation des acteurs étatiques – aux antipodes de l’hypothèse d’un démantèlement néolibéral de l’Etat – se coule dans le moule de la modernité managériale de la nouvelle gestion publique. Dans le secteur de l’assurance maladie, où la maîtrise des dépenses de santé est inscrite sur le haut de l’agenda des pouvoirs publics, une « coalition gestionnaire », composée d’économistes et de gestionnaires de la santé associés à une poignée de hauts-fonctionnaires atypiques et très intéressés par le managed care des assureurs américains, se structure peu à peu à compter de la seconde moitié des années 1980 et connaît son apogée avec le Plan Juppé de 1995. L’économie de la santé, discipline dominée par les pays anglo-saxons et largement internationalisée supplante le droit et accède au rang de lingua franca réformatrice. L’ambition de cette nébuleuse réformatrice, qui se distingue par son ouverture internationale, est d’équiper l’Etat en instruments et en recettes d’action publique de façon à le mettre en position d’imposer l’ « intérêt général » à des intérêts « privés » nombreux et puissants (syndicats de salariés, médecins libéraux, industrie pharmaceutique, élus locaux, etc.). Alors qu’elle est confrontée à la multiplication des scandales sanitaires, l’administration de la santé publique, considérée comme vieillotte et inefficace, connaît de son coté, un profond remaniement avec la création, à partir de la fin des années 1980, de nombreuses agences sanitaires, nouvelle forme organisationnelle emblématique du NPM. Une fois de plus, le réinvestissement de ses fonctions régaliennes – en particulier celle de la surveillance sanitaire – par un Etat sanitaire longtemps déliquescent se fait, en partie au moins, « au miroir » de l’Amérique. En effet, ce sont des acteurs assez périphériques au plan national mais dotés de solides réseaux internationaux qui s’emploient à importer et à « traduire » une façon singulière de pratiquer l’épidémiologie, dite « d’intervention », opposée en tous points à l’épidémiologie scientifique dominante, et inventée au début des années 1950 dans les Centers for Disease Control d’Atlanta. Ce savoir de gouvernement made in USA va rencontrer l’intérêt de réformateurs de l’administration centrale, alors à la recherche de solutions clés en main, pour rapidement s’institutionnaliser, en 1992, en un Réseau national de santé publique (RNSP), rebaptisé, en 1998, en Institut national de la veille sanitaire (InVS).

Dans un troisième et dernier temps, la communication insiste sur le double paradoxe (apparent) de cette dynamique d’affirmation de l’Etat sanitaire au miroir d’expériences et d’expertises étrangères. Non seulement elle contredit l’idée largement reçue du « retrait » des Etats providence – au contraire, la dynamique dans le secteur de la santé serait plutôt à l’activisme étatique, en France comme ailleurs –, mais elle semble s’accompagner de la montée en puissance de nouveaux principes de justice dans lesquels la responsabilité individuelle semble occuper une place centrale. En effet, dans le domaine de l’assurance maladie, la mise en échec de la coalition gestionnaire par les résistances des nombreux groupes d’intérêt privés, a débouché sur la restructuration souterraine de l’assurance maladie, laquelle se désengage, sous la pression des déficits sociaux, progressivement du financement des soins courants, ainsi ristourné aux individus et à leurs assurances maladie complémentaires au nom de leur « responsabilisation financière » et de leur « liberté de choix ». Plus fondamentalement, l’Etat s’emploie ici à promouvoir la figure du consommateur de soins rationnel et informé faisant des choix « avisés » grâce aux informations dont il l’équipe, tout en s’efforçant d’instiller concurrence et « transparence » dans des domaines d’activité qualifiés d’opaques et d’oligopolistiques (secteur hospitalier, marché de l’assurance maladie complémentaire, etc.). Dans le domaine de la santé publique, la rénovation de l’administration de la santé mêle des éléments anciens et nouveaux. La surveillance (ou la veille) sanitaire réinvestit certains registres de la pluriséculaire « police sanitaire » tout en les hybridant avec les méthodes biostatistiques modernes. Or celles-ci sont constitutives d’une riskfactorology qui insiste davantage sur les facteurs de risques individuels (génétique, comportements à risque, etc.) que sur les facteurs environnementaux et sociaux. C’est ainsi que l’on peut expliquer que les chercheurs, au demeurant peu nombreux, travaillant sur la genèse sociale des inégalités de santé demeurent marginalisés dans cette nouvelle configuration d’un Etat sanitaire considérablement renforcé dans ses attributions et ses moyens d’action. Dès lors, la politique de santé publique rejoint la politique de protection maladie dans son projet de faire advenir un individu « acteur » de sa santé et « consommateur avisé » de soins, qui sera éventuellement pénalisé sur le plan financier s’il n’a pas fait les « bons choix ».

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