La gouvernance par les savoirs : nouvelles technologies de production et d’utilisation des savoirs.
OZGA JENNY
Université d’Oxford
La gouvernance par les savoirs : nouvelles technologies de production et d’utilisation des savoirs.
Mon intervention porte sur la relation entre savoirs et gouvernance et notamment sur la représentation des savoirs comme des données et l’utilisation de ces données dans le pilotage de l’éducation au Royaume-Uni et en Europe. Ces savoirs ont accompagné la montée en puissance de la gestion par la performance, aux côtés de la décentralisation et de la dérégulation : les données ont permis un pilotage des résultats par objectifs ainsi que le suivi de ces objectifs. En un mot, le soi-disant « tournant de la gouvernance » marque un déplacement vers davantage de dérégulation mais tout autant vers un pilotage fortement centralisé à travers diverses technologies d’action publique, notamment le recueil des données, leur analyse et utilisation. Les savoirs et les données jouent un rôle crucial à la fois dans l’omniprésence de la gouvernance et dans son accompagnement sous une forme dispersée, distribuée et désagrégée. Les données servent d’appui à de nouveaux types d’instruments d’action publique qui organisent les relations politiques par la communication et légitiment donc cette organisation (Lascoumes et Le Galès 2007). D’après Lascoumes et Le Galès (2007, 6), les données dérivées des indicateurs ont pour fonction, notamment en matière d’assurance qualité et d’évaluation, de :
… influencer les relations entre la société politique (par la direction de l’administration) et la société civile (par ses administrés) à travers un ensemble de mécanismes qui associent appareillage technologique (mesures, procédure et calcul de l’autorité de la loi) et composants sociaux (représentations, symboles).
Dans cette perspective, l’évaluation est un instrument politique : les nouvelles formes de gouvernance – décentralisation et dérégulation – nécessitent un pilotage par l’évaluation : les données sur l’évaluation et la performance remplissent l’espace entre l’état et le nouveau consommateur-citoyen (Fägerlind et Strömqvist 2004, Clarke 2008). Les nouvelles formes de gouvernance encouragent tous les moyens de contrôler et façonner le comportement à travers des stratégies matérielles et discursives : la mobilisation de nouvelles normes et valeurs est associée à des mécanismes de régulation externe (tels que les indicateurs de performance) qui, ensemble, cherchent à transformer la conduite des organisations et des individus afin d’atteindre les objectifs politiques par « l’action distanciée » (Miller et Rose 2008). Je passerai en revue quelques évolutions historiques et récentes de l’utilisation des données y compris par des exemples de « traduction » nécessaire pour rendre ces savoirs intelligibles et recevables. On verra l’écart entre le rêve d’une gouvernance par les données et la réalité. J’analyserai ensuite la transition récente vers le suivi des individus par les données à travers les processus d’auto-évaluation. L’objectif de cette transition est de produire des organisations et des gouvernements apprenants dont l’accumulation des savoirs est mobilisable par l’action des savoirs sur eux-mêmes.