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Décentralisation et évaluation, les incertitudes d'une politique nationale de formation professionnelle

Par adminDernière modification 20/06/2006 11:15

La communication de Catherine Agulhon (Paris5 - CERLIS) pour le colloque "L'évaluation des politiques d'éducation et de formation"


Catherine Agulhon, Cerlis

Résumé

La formation professionnelle est à la fois un espace social complexe, segmenté et peu valorisé et un champ de recherche lui-même minoré. Elle procède d'une longue histoire qui touche autant à la scolarisation qu'à la gestion de la main d'œuvre et donc à la sociologie de l'éducation et du travail.

La décentralisation, mode de gestion public largement préconisé par les organismes internationaux, intervient dans une période de turbulences multiples. En effet, les transformations du travail (désindustrialisation, tertiarisation, introduction des nouvelles technologies et recomposition des emplois) tout comme l'abaissement de l'offre de travail et la montée du chômage, ont activé les politiques de formation et redonné une certaine centralité à la question de la formation professionnelle initiale et continue. De nombreuses réformes visent la formation et la qualification de la main d'œuvre : stages, évolutions des contenus, ajustement des formations aux emplois, prolongation des filières (baccalauréat professionnel et licence professionnelle) transformation des institutions (lycées des métiers), mais aussi co-investissement en formation continue, diffusion de la formation à l'ensemble des salariés (DIF) ; et bien sûr validation des acquis de l'expérience, qui place le travail comme élément essentiel de construction des certifications et donc des qualifications et se substitue ainsi à la formation. Chacun de ces aménagements entraîne des effets pervers et peut prêter à controverses.

Mais la décentralisation est la réforme qui transforme les modes de gestion de systèmes de formation (formation initiale, apprentissage et formation continue) déjà segmentés. Elle est supposée générer le décloisonnement des filières de formation, elle participe d'un éclatement de règles nationales. Elle est ambiguë car incomplète, elle retire à l'État la construction de l'offre, le suivi des trajectoires et fait perdre une certaine lisibilité du système.Elle interroge sur la légitimité de la région comme acteur politique, sur les formes d'interinstitutionnalité qu'elle engendre, sur la contractualisation sur laquelle elle est supposée se fonder, sur les inégalités de traitement qu'elle provoque. La décentralisation pose donc la question de son fondement politique, démocratique ou libérale, de ses fins, économiques (efficacité et rendement) ou sociales (égalisation des chances) et de ces moyens institutionnels et méthodologiques.

Ainsi, la décentralisation " à la française " est un long processus de recomposition des compétences des institutions et des formes de régulation de l'action publique, engagé depuis vingt ans (Affichard, 1997). Elle introduit un nouvel acteur le conseil régional qui cherche à établir ses prérogatives et à construire la légitimité de son action politique, elle recompose les arrangements entre les institutions, elle s'appuie sur la contractualisation de la l'action publique et donc sur la négociation interinstitutionnelle, elle favorise en même temps l'éparpillement des formes d'organisation. Mais, l'État français jacobin ne cède pas si facile son pouvoir de décision et les arrangements apparaissent confus et contradictoires.

De fait, la décentralisation de l'action publique pose problème. Dans le domaine de la formation, certains acteurs la justifient par la pertinence de la problématique du développement local qui seule permettrait un ajustement cohérent des formations aux emplois 1. Mais les chercheurs estiment que ce déplacement géographique de l'action publique remet en cause le modèle républicain de scolarisation (Charlot 1994, Lelièvre 1996). Pourtant les détracteurs du centralisme ne manquent pas, ils affirment que l'action de l'État bureaucratique est inefficace, impersonnelle, elle ne peut s'adapter à la diversité des réalités locales. Cette critique de la bureaucratie n'est pas nouvelle. Mais, la décentralisation qui déplace les lieux d'élaboration des règles, supprime-t-elle un fonctionnement bureaucratique ? La contractualisation de l'action et la mobilisation des acteurs politiques économiques et sociaux devraient y contribuer. Ainsi, la décentralisation oblige ces acteurs à repenser la question de l'intérêt général, celle d'une construction sociale de l'équité, celle des formes de coordination de leurs actions, celle de l'efficacité, mais surtout de la légitimité d'une régulation de l'action publique moins hiérarchique et plutôt négociée et contractualisée.

Qu'est-ce qui fonde l'action régionale ? La justification par l'efficacité et la rationalité de l'action peut-elle s'allier avec la légitimité et l'équité de cette action ?

Cette question n'est toujours pas résolue vingt ans après l'engagement dans la décentralisation. Les Conseils régionaux cherchent à acquérir leur légitimité à partir du pouvoir que leur délègue l'État, ils doivent composer avec les directions des différents ministères qui ne sont pas prêtes à abandonner leurs prérogatives et espaces de décision.

Chaque institution cherche à négocier et établir son espace de pouvoir, chacune se sent menacée par de nouveaux modes de régulation dont elle ne maîtrise ni l'ampleur, ni les effets. Les acteurs sont donc dans une incertitude qui peut les mener au repli, ou du moins à un certain attentisme ou au contraire à la combativité. Ainsi, au-delà des lois et prescriptions nationales, la décentralisation se joue dans une négociation interinstitutionnelle renouvelée. Or, comme le constate C. Thuderoz (2000), qui dit négociation, dit aussi conflit et régulation (conjointe) de ce conflit. La négociation devient ainsi une forme du politique qui tend à réguler les modes d'organisation sociale et ici principalement celle de la scolarisation et de la formation professionnelle.

Ces redéploiements institutionnels contrarient les logiques d'action, bousculent les institutions, redéfinissent les finalités des filières de formation et animent des débats contradictoires. Et surtout ils transforment l'organisation d'un système de formation professionnelle toujours en construction ou reconstruction. Cette passation de compétences induit une forte interrogation sur le renouvellement d'un système de formation “ à la française ” et c'est sur cette question que j'articulerai mon exposé 2.

Deux moments forts ont travaillé la décentralisation de la formation professionnelle, Deux outils ont assuré son émergence : la planification de l'offre et la négociation institutionnelle. La loi de 1983 donnait compétence aux Conseils régionaux en matière de construction d'un schéma prévisionnel des formations initiales et parallèlement de l'apprentissage. La loi quinquennale n°93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, étend les responsabilités des Conseils régionaux en matière d'élaboration des politiques de formation professionnelle et d'apprentissage. Ces délégations de compétences ne leur donnent pas une totale autonomie, puisqu'elles sont basées sur la contractualisation. Celle-ci engage des " partenaires " responsables de leur politique et de leur gestion, elle est avalisée par une évaluation de ces engagements. Le contrat de plan est un des principaux outils de cette nouvelle gouvernance. Il est le garant d'une action cogérée et copilotée, il engage autant État que le Conseil régional et circonscrit la notion même de décentralisation à la française.

En outre, la décentralisation repose au niveau régional des questions posées au niveau national, celles des missions du système éducatif, celles de la construction d'un système de formation et de ses fondements idéologiques, celles relatives au rôle des acteurs institutionnels et économiques, celles encore des relations entre les institutions et de l'harmonisation de leurs logiques d'action. Elle pose en définitive la question de la construction d'un système de formation régional autonome, public ou privé, républicain, libéral ou hybride.

Les Conseils régionaux ont établi lentement leur légitimité à mener une politique de scolarisation et de formation. Et c'est un des paradoxes de la décentralisation à la française. À l'inverse des formes d'autonomie qu'ont acquises les länder en Allemagne ou les régions en Espagne, les régions françaises doivent composer avec l'État via les Préfets de Région dont les prérogatives restent importantes, via les services déconcentrés de État (Rectorats et DRTEFP), via le contrat de plan 3 qui précise les devoirs et les prérogatives des partenaires. Très jeune, le Conseil régional doit traiter avec des institutions chevronnées, car, seul, il n'aurait pas les moyens de sa politique. Il dépend des alliances qu'il a pu passer, des conflits qu'il a pu éviter, de la dynamique économique et sociale régionale. Il n'a pas toujours tiré parti des réflexions menées au niveau national sur les relations formation-emploi et acquiert sa méthodologie d'élaboration de l'offre de formation de manière très empirique et même désordonnée (on observe évidemment des variations selon les régions). De plus, maints Conseils régionaux s'appuient pour ce faire sur une logique d'efficacité économique immédiate. Et c'est ainsi que depuis 1983 et plus encore depuis 1993, l'adéquation empirique de l'offre de formation à l'emploi via les contrats d'objectifs et l'ajustement à des politiques de branches étroites sévit et surtout dans les régions les plus fragilisées. Elle s'affirme comme politique régionale de formation, tandis que les régulations opérées au plan national ne sont plus des contre-pouvoirs efficaces. Cet adéquationnisme s'appuie sur une régulation locale (infra-régionale) trébuchante d'autant qu'il se heurte à la définition de l'espace local 4 et à la réalité d'un marché du travail local. L'espace local est en réalité une construction sociale, qui, au-delà de la définition de ses délimitations géographiques et administratives, se veut lieu de coordination de l'action.

Ces déplacements géographiques successifs de la gestion institutionnelle de l'offre de formation démontrent la faiblesse de l'outillage conceptuel et méthodologique acquis, la labilité de la notion de besoin et de son usage. Cinquante ans de réflexions sur les politiques de formation n'ont pas réglé les questions vives de la construction des relations entre formations et emplois, elles ont déplacé l'analyse et ont idéalisé la pertinence du niveau local, puisqu'elles se heurtaient aux limites de leur efficacité à d'autres niveaux. Elles soulignent, s'il en était besoin, la labilité de relations formation-emploi qui, loin d'être le résultat exclusif d'une gestion institutionnelle, dépendent d'un marché du travail à la fois conjoncturel et évolutif. Elles accompagnent et accroissent les différences régionales tant dans la conception du système que dans ses effets, liés aux histoires économiques et sociales régionales et à leurs évolutions.

Dans ces redéfinitions multiples, l'agencement entre les différentes filières de formation est bousculé et la place de l'enseignement professionnel est remise en question. Doit-il sortir du système éducatif et s'inscrire dans un système de formation (formation initiale, apprentissage, alternance et formation continue) qui trouverait ainsi son autonomie et ses formes internes d'articulation ? C'est, en réalité, une problématique qui parcourt l'histoire de la formation professionnelle de 1880 à 1960. Dès 1919 et encore en 1945 (Charlot, 1985 ;Tanguy, 1987 ; Troger, 1989), cette question anime les controverses. Les créations et les suppressions alternatives de la Direction de l'enseignement technique en sont le signe ou le symbole.On l'a vu, le Ministère de l'Éducation tente de conserver la maîtrise de la certification, même s'il mène une politique négociée au sein des CPC, il contrôle et gère également la majeure partie du potentiel de formation initiale, même s'il doit négocier la création des établissements et des sections via le PRDFP avec le Conseil régional. Du côté des établissements et des personnels, les incertitudes quant à la légitimité du Conseil régional et la pertinence de son action ne sont pas moindres. Les syndicats enseignants sont méfiants et inquiets des effets des réformes d'où qu'elles viennent, laissant à voir la fragilité de la position de leur filière de formation. Ils ont refusé les stages en entreprise en 1979, ils ont refusé l'implantation de sections d'apprentissage dans leurs établissements en 1992, ils refusent de s'interroger sur une transformation du statut des élèves de LP qui les rapprocheraient des apprentis, récusant en creux ce glissement de la position des LP dans ces réformes. Mais, de fait, les équilibrages de l'offre de formation entre formation initiale et apprentissage, le maillage des publics dans les lycées techniques (création de sections d'apprentissage et développement de la formation continue dans les GRETA), le brouillage des frontières institutionnelles entre les filières remettent lentement en question la spécificité de la filière scolarisée. Toutefois, l'inertie du système éducatif a limité jusqu'à ce jour, les effets de politiques volontaristes et parfois confuses.

La décentralisation et son cortège de procédures concrétisent la tentation ou même les tentatives de transformer le système de formation. Le modèle concurrentiel et marchand (au fondement du système de formation continue, créé en 1971) qui laisse une place non négligeable à la négociation et à l'ajustement (des formations aux " besoins " économiques, des organismes de formation au marché, etc…) supplanterait un modèle scolaire et démocratique (celui de l'enseignement professionnel scolarisé) piloté par État, indépendant des contingences immédiates, basé sur l'égalité des chances et sur une norme certificative interne plus qu'externe. Les acteurs sont bien évidemment divisés sur ces questions idéologiques qui, au-delà des tensions interinstitutionnelles, bloquent la constitution d'une politique de formation concertée et laissent en suspens la pérennité de l'idéal de service public à la française.

1 Thèse qui renvoie à un adéquationisme auquel je ne souscris pas.

2Outre ma participation à la deuxième, puis à la troisième évaluation des effets de la loi quinquennale en Région en 1998 et 2001 j'ai publié plusieurs articles sur cette question (1994, 1997 et 2003).

3 Créé en 1982, il fixe les axes stratégiques développés en partenariat par l'Etat et la Région, les engagements conjoints dans le financement des programmes et des institutions (OREF, CARIF, etc..)

4 Là encore, chaque institution développe sa propre définition et les frontières de ses espaces locaux : à côté des départements et des cantons de l'administration de l'Etat, se chevauchent et se superposent les districts et les zones d'éducation prioritaire de l'éducation nationale, les zones d'emploi et les bassins d'emploi de la DRTEFP, les " pays " au Conseil régional, sans compter les agglomérations, les zones d'aménagement du territoire, etc…

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