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Les conventions de compétence dans l'entreprise : les limites de l'individualisation

Par adminDernière modification 20/06/2006 11:21

Communication de François Eymard-Duvernay

François Eymard-Duvernay, UMR Forum-CNRS

La communication porte sur l'évaluation du travail vue par les économistes, en développant une approche conventionnaliste. Pour le courant principal de cette discipline, l'évaluation est nécessairement individuelle : la prise en comte de catégories collectives, y compris le diplôme, serait une entrave au marché, voire une forme de discrimination. Il y a une seule évaluation juste du travail. L'approche conventionnaliste introduit des catégories de jugement, et de ce fait une pluralité (sociale, historique) de formes de jugement, et donc un débat sur les formes de jugement en termes d'efficience et de justice. L'individualisation des compétences apparaît comme une forme de jugement dans cet espace. Le débat porte en particulier sur les inégalités qu'elle induit.

L'évaluation du travail sur le marché

Pour l'économiste (sans autre précision, il s'agit de l'économiste main stream) , la valeur du travail se fixe naturellement sur le marché, par le jeu des offres et des demandes. Il n'y a pas de hiérarchie, d'ordres sur le travail, or : les mesures opérées par les sciences de la nature (il y a différentes qualités du travail, objectivement mesurables) et les évaluations qui résultent du marché. Cette position pose problème pour intégrer les qualifications et les diplômes. Ces catégories collectives entravent le bon fonctionnement du marché : elles induisent des évaluations discriminatoires du travail, puisque décalées par rapport à la vraie qualité du travail. Hors marché, il n'y a pas d'institution légitime. On peut introduire dans le modèle plusieurs qualités du travail, mais il s'agit de qualités réelles et non de qualifications établies par des institutions.

La valeur du travail, dans cette approche, acquiert une forte objectivité : elle est déduite des qualités réelles des personnes (mesurables par les sciences de la nature telles que les psychotechniques) et de la loi du marché. Il y a une seule mesure du travail, tout écart par rapport à cette mesure est irrationnel et inefficient. Il peut y avoir des problèmes d'information (par exemple lorsque le candidat à un emploi masque sa vraie qualité), qui perturbent le marché, mais il s'agit d'erreurs d'évaluation, qui peuvent être corrigées par de meilleurs moyens d'observation ou par des mécanismes qui incitent les personnes à révéler leur vraie qualité.

Approche conventionnaliste de l'évaluation du travail

La valeur du travail résulte d'une convention, au sens d'un accord, d'un contrat social. Cette approche induit donc beaucoup d'indétermination dans la valeur du travail. Elle est contingente à des accords entre les acteurs, au lieu d'être fondée sur les qualités réelles et la loi du marché. Elle peut varier d'un espace économique à l'autre (branches, types d'entreprises, économies nationales) et historiquement. Il y a une incertitude plus radicale dans son évaluation : celle qui porte sur les principes d'évaluation, c'est-à-dire la convention de qualité du travail. L'objectivité de l'évaluation semble s'effriter, ou plus précisément il y a plusieurs formes d'objectivité, plusieurs institutions (dont l'éducation nationale, le marché, les entreprises) en concurrence pour fixer la valeur du travail. La valeur du travail fait débat.

Comment expliquer l'existence de ce débat, de cette incertitude profonde sur la valeur du travail ? La science peut-elle trancher ?

Oui, pour les scientifiques du domaine : les psychotechniciens. Les méthodes d'évaluation ne font pas débat, elles peuvent être classées suivant leur plus ou moins grande exactitude. À côté des méthodes franchement irrationnelles, telles que la graphologie voire la numérologie…, existe une gradation de méthodes : l'entretien, par exemple, est une moins bonne méthode que les tests. Les tests psychotechniques sont les seules méthodes rigoureuses et rationnelles d'évaluation. Le diplôme, naturellement, n'est pas un critère pris en compte : les psychotechniques se sont construites pour contourner les diplômes. La psychologie comme science de la nature, l'économie, comme science de la société s'allient pour fonder l'objectivité et la rationalité des évaluations du travail.

Peut-on frayer un chemin entre cette approche unidimensionnelle de l'évaluation et un pur relativisme ? Pour l'approche conventionnaliste, la valeur du travail est ancrée dans des conceptions du bien commun : qu'est-ce qu'un bon produit, une forme efficiente d'organisation d'une entreprise, et in fine, de l'économie dans son ensemble ? Ces conceptions sont " morales " : elles renvoient en dernière instance à des finalités individuelles et collectives. On peut mesurer de façon objective le travail, mais cette mesure est relative à une unité de compte (la convention de qualité liée à une conception du bien commun) et il y a plusieurs unités de comptes en débat.

Le vocabulaire des compétences permet de repérer ces différentes conventions (ou grammaires) de compétences. Une fois la grammaire bien identifiée, on peut mesurer, calculer, valoriser : les mots peuvent être remplacés par des chiffres. Mais tant que cette clarification n'est pas faite, et dans un univers économique complexe et en mouvement elle n'est jamais définitivement établie, les mots qui désignent les principes de qualité, sont incontournables : le débat sur les principes de qualité passe par des mots et ne peut être tranché par des chiffres. On reste dans le " qualitatif ". Le diplôme entre dans certaines grammaires et pas dans d'autres. Une nouvelle convention (grammaire) de compétence se développe par l'utilisation de nouveaux mots : exemple de la " logique compétence ".

Les contraintes de justice dans l'évaluation des compétences

Toutes les conventions sont-elles possibles ? Les conceptions du bien commun, qui fondent les évaluations, sont soumises à des contraintes de justice. On retrouve une forme d'objectivité des évaluations, elle n'est plus fondée dans la nature, mais par la justice (justesse et justice). L'objectivité de l'évaluation repose sur des équivalences légitimes faites entre différentes sortes de travaux.

Les théories de la justice prospectent les conditions pour que des inégalités soient légitimes. Suivant la conception de Rawls, il faut que les différentes positions sociales soient accessibles à tous ; et que les inégalités bénéficient aux plus défavorisés.

Ce critère de justice permet d'évaluer les différentes méthodes d'évaluation, suivant un critère de légitimité. La légitimité des psychotechniques est problématique. Suivant leur version " dure " (ancrage héréditariste de la psychologie différentielle), elles sanctionnent des écarts d'aptitude peu réversibles. Cette critique est en particulier portée par l'ergonomie, autre courant de la psychologie : le psychotechnicien sélectionne, l'ergonome aménage l'environnement. L'ergonomie s'appuie sur une conception distribuée de la compétence et l'importance de l'apprentissage. La psychologie est donc elle-même traversée par un débat " moral ".

Pour résumer l'approche conventionnaliste, on peut paramétrer une convention de qualité suivant trois critères :

•  le registre de qualité du travail

•  le degré d'inégalités induites par les épreuves d'évaluation

•  la remise en jeu des épreuves.

La tendance à l'individualisation des compétences

La notion d'individualisation n'est pas claire. Le jugement repose nécessairement sur des catégories. On peut donner deux sens différents à cette notion :

•  Elle traduit un déclassement des catégories industrielles qui prévalaient dans la période taylorienne (déclassement du poste de travail en particulier), et l'émergence de nouvelles catégories qui appartiennent à des registres plus " individualistes ", l'économie (le marché), la psychologie (catégories de comportement individuel).

•  Elle traduit des inégalités accrues dans les classements, une sélection plus dure.

Ces deux évolutions peuvent être liées : l'affaiblissement des catégories anciennes laisse le champ à des inégalités peu contraintes par la justice.

Pour les nouvelles conventions de compétence qui émergent, la valorisation du diplôme est ambiguë : la notion de " compétence ", au centre de la nouvelle grammaire, insiste sur la dimension opératoire de la compétence versus les connaissances scolaires ; mais le diplôme garantit la capacité à acquérir de nouvelles compétences.

Ces nouvelles conventions ont des problèmes de légitimité : cela est illustré par l'affaire des notations à IBM.

Des données empiriques sur les annonces d'offres d'emplois (Marchal, Rieucau) montrent que, par rapport aux années 60, il y a une sélection plus intense sur le diplôme et l'expérience professionnelle pour les recrutements, donc des inégalités plus fortes sur le marché du travail. On constate également que les annonces anglaises sont moins sélectives sur des critères tels que le diplôme et l'âge. La " méritocratie " française fondée sur le diplôme est déstabilisée du fait des inégalités accrues d'accès aux diplômes.

Références :

EYMARD-DUVERNAY F., MARCHAL E., 2000, " Qui calcule trop finit par déraisonner : les experts du marché du travail ", Sociologie du travail, 42, 411-432

EYMARD-DUVERNAY F., 2004, Économie politique de l'entreprise, La Découverte

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